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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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à lever la séance, n’eut que le temps de rassembler ses affaires avant de se retrouver poussé en haut des marches dévalant dans l’antichambre.
    – Je ne vous dis d’ailleurs pas à demain, rectifia Thésut mais à tout à l’heure, puisque votre tante nous a fait la grâce de nous lancer un convi ce soir pour fêter votre arrivée.
    Craignant subitement d’avoir déplu, Victor se retrouva au pied des bâtiments du corps de garde alors que le jour n’était pas assuré. N’osant retourner à l’Hôtel Davignon où l’on n’aurait pas manqué de le questionner sur son retour hâtif et son désarroi de la veille, il gagna les bords de Seine passant le gros de la matinée, assis sur une borne, à moudre ses inquiétudes et à considérer d’un œil distrait le ballet incessant des flottilles qui louvoyaient parmi de longs radeaux de bois de chauffage.
     
    Les invités du conseiller et de sa femme, tous dévots pratiquants, n’arrivaient pour souper qu’après le lucernaire 129 auquel ils assistaient chacun dans leur paroisse.
    Neuf heures sonnaient à la chapelle du collège des Quatre-Nations, lorsque la voiture des Thésut, qui, depuis Saint-Germain l’Auxerrois, n’avait eu que le Pont-Neuf à franchir, passa en trombe le porche de l’Hôtel Davignon. L’abbé dont la ponctualité n’était pas la plus mince des marottes, parut le premier, portant devant lui sa montre tel un gonfalonier son étendard. La tante de Victor, tous charmes déployés sous son inlassable sourire, s’était précipitée au-devant de ses hôtes pour veiller elle-même à les installer à chaque extrémité de l’ottomane cannée qu’elle leur assignait invariablement lorsqu’ils venaient en visite chez elle. Elle avait en effet appris, par quelques catastrophes domestiques, à mesurer tout l’espace qu’il fallait aux deux frères pour se livrer à l’aise aux gymnopédies dont ils ponctuaient leurs discours. Le chevalier, à peine moins frileux que son cadet dès qu’il quittait son salon, se fit rouler dans une couverture par son cocher, un vieil ombrageux à grise mine, jaloux d’avoir partout, lui seul, l’œil aux aises de ses maîtres. Emmailloté de la sorte, l’aîné des Thésut, qui avait floqueté sa brassière du ruban de Saint-Louis, trompa son impatience en répandant sur ses genoux le contenu de ses poches : sept ou huit étuis ciselés pleins de pastilles, de cachou indien et de quinquina en grains, trois paires de lunettes aux verres plus ou moins sombres, enfin un écoutoir en argent, haut comme un bugle et plus large que la carotte qui servait d’enseigne aux marchands de tabac. Si nous n’avons pas signalé que le chevalier fût sourd, c’est qu’il ne le devenait qu’en société ; cela lui évitait de se mêler au caquetage des femmes qu’il trouvait assommant et concourait à justifier, lorsqu’il avait bu, des moments de demi-sommeil plus ou moins ornés de ronflements. Cet impertinent désintérêt – le lecteur l’aura peut-être remarqué – est chose qu’on passe assez facilement aux sourds plutôt que les entendre assassiner les conversations en faisant répéter à longueur de soirée ce qu’ils n’entendent pas. Un moment absorbé par le déclic de ses petites boîtes, le chevalier finit par s’enquérir du souper et, pour bien souligner que son estomac criait, il fit osciller sa montre sur la pente circonflexe de ses yeux mouillés.
    L’abbé qui, pendant ce temps, déplaçait sur le parquet sa jambe raide en produisant un tintamarre de hallebarde, avait l’activité fébrile d’un moulin par grand vent. Souffletant d’une main son collet obstiné à rebiquer, il dépliait de l’autre quelques-unes des innombrables boulettes de papier griffonné dont il avait la manie de lester ses poches tout comme le désespéré remplit les siennes de cailloux avant de s’enfoncer dans la rivière.
    Victor et le vidame entrèrent à point pour tirer madame Davignon de l’encombrant silence où la jetait la frénésie solitaire des vieux célibataires. L’abbé fit aux garçons, sur le bienfait de la jeunesse, mille compliments festonnés de quelques vers latins et le chevalier, qui décidément ne pouvait plus contenir l’écoulement de son fiel, s’exhala tout de bon contre les importuns qui retardaient l’heure de boire et de manger. Il était au plus haut de sa tirade lorsque entrèrent ensemble, de telle façon qu’on les eût pu croire poussés par le vent,

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