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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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qu’on dit nobles – abritent la cour du prince. Je ne vous le dis qu’en passant puisque, grâce au ciel, nous n’avons rien à faire, ici, avec les vanités clinquantes qui permettent au neveu d’un grand roi de tenir son rang de petit-fils de France. La maison militaire, peuplée de soldats qui n’ont jamais reniflé l’odeur de la poudre, la maison civile et ses cinquante grands officiers qui ne servent à rien, les diverses écuries qui s’absorbent dans la revendication jalouse de leur compte de bottes de foin, les capitaineries de chasse, grandes fossoyeuses de temps et d’argent, l’aumônerie où ne règnent que des mécréants, ne font que reproduire le grand gâchis de talent qu’on déplore à Versailles. Tout ceci se réduit à de sinistres embarras d’étiquette, à de bas chipotages de préséance, qui sont une insulte permanente à l’efficacité et au bon sens. Nous, nous n’avons pas la science du monde et nous en tirons fierté. Nous sommes tout à fait incapables de dire qui peut rester couvert devant un cardinal, entrer du pied droit chez un duc ou donner l’eau bénite en gardant le gant. Ces misères ne sont que le dernier fumet de l’opulence éteinte des aristocrates. Vanitas execrabile !
    L’abbé qui venait de relever le nez pour latiniser et qui avait profité de ce mouvement pour lorgner dans la cour, s’interrompit brusquement :
    – Peste ! le petit Régnault qui court parce qu’il est en retard. Je le marque pour un blâme.
    Il annota un coin de son papier déjà noirci de ses fabuleux gribouillages puis but son chocolat d’un trait tandis qu’un glouglou, suivi d’un rot de béatitude, montait dans son gosier.
    Le chevalier, traînant ses pieds dans des feutres 117 qui laissaient voir la corde, parut sur ces entrefaites, poussant la partie mobile d’un lambris qui reproduisait la magnifique Salle des États du château de Villers-Cotterêts. Il était vêtu d’une sorte de lévite en sayette noire et coiffé d’un bonnet de gourgouran jaune qui lui bâillait sur les yeux. Il semblait d’humeur ravissante.
    – À la bonne heure, je vois que notre élève est fidèle ! marmonna-t-il en s’emparant de son petit chat qu’un valet venait d’introduire par une porte à la seconde où il entrait et qui courait vers lui dans de grands ragoulements.
    L’abbé se leva pour embrasser son frère auquel il céda place et serviette.
    – Je prends le quart ! s’exclama avec enjouement le nouveau venu.
    Il se versa une généreuse rasade de chambertin puis découpa lui-même, les yeux brillantés par la gourmandise, une tranche fumante de gâteau de lièvre.
    – Quel est le plan d’attaque ? demanda-t-il ensuite en se frottant les mains.
    – Mon cher Théophile, lui répondit son frère en arpentant le salon à pas saccadés, je vous propose de donner à monsieur de Gironde, en manière de hors-d’œuvre, une idée des méthodes de raisonnement particulières à cette maison.
    – Optime ! opina l’aîné des Thésut qui louchait de satisfaction en voyant son godet se rapprocher de ses lèvres lippues.
    – La méthode que nous allons démonter devant vous, reprit l’abbé en s’adressant à Victor, est une fricassée intellectuelle de haut goût composée d’art et de procédure. Nous y fourrons à la diable une pincée du sic et non 118 de notre vieille Sorbonne, un zeste de théâtre – ne vivons-nous pas ici avec l’opéra sous nos pieds ? – enfin, nous la pimentons des passions de la chicane et des chicaneaux, tant il est vrai, au fond, que de l’empoignade judiciaire finit toujours par jaillir une étincelle de vrai.
    Il bondit vers un meuble à tiroirs duquel il extirpa un bourson de sacristain étranglé par un cordon à houppes.
    – Tirons le sujet ! s’écria-t-il au paroxysme de l’excitation, qu’une main innocente s’avance !
    Il se planta devant Victor demeuré assis son tricorne à la main et, par des hochements de la tête accompagnés de mimiques furieuses, lui fit signe de tirer un papier.
    – Lege quoeso 119 ! ordonna l’abbé dès que son élève se fut exécuté.
    – Du pouvoir de la noblesse en France et en Angleterre, bredouilla Victor.
    – Peuh ! fit le chevalier avec un air de grand dégoût, c’est bien de la loquèle !
    – Comment ! riposta l’abbé, mais voici justement le nœud des différences entre nos deux nations.
    Il sortit un écu de son gousset et le fit sauter en l’air.
    – Pile, dit-il, vous serez

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