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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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prochaine.
    Victor fut accueilli par une servante en coiffe qui l’écouta sans que s’altère un pli de sa face cornée. Elle l’introduisit dans une chambre dont l’un des murs chaulés s’ornait d’un cadre tendu de pourpre, sur fond duquel se dressait un riche crucifix d’ivoire presque incongru en un lieu si modeste. À même le parquet, comme si l’on attendait pour fuir la hotte d’un portefaix, des livres en grand nombre formaient cinq ou six murets à l’équilibre précaire.
    Un éclat de voix, tandis qu’il scrutait ce savant désordre, fit dresser l’oreille au visiteur. Aussitôt le loquet produisit un bruit sec et la servante, reparue en montrant une figure restée impénétrable, lui fit signe de la suivre jusqu’à la porte du bureau de son maître.
    Brandelis de Grandville qui écrivait alors, installé derrière une chétive table, était un garçon d’à peu près vingt-cinq ans dont le visage long et hâve reflétait l’âme tourmentée. Un profil d’aigle, une chevelure opulente et charbonneuse, deux yeux à fleur de tête, ajoutaient du féroce à l’inquiétude qui troublait en permanence de rides fugaces son large front bombé. Parce qu’il savait la supériorité que confère un abord glaçant sur les esprits faibles et qu’il était naturellement cruel, il abusait de cet aspect abrupt et ne manquait jamais, par exemple, de désirer faire frissonner ceux qui l’approchaient pour la première fois.
    Victor, qui s’était entendu accueillir par un sourd grognement, demeura arrêté trois pas après le seuil.
    – Vous avez demandé à me voir, fit le jeune vicaire sans cesser de faire courir sa plume, mon temps est précieux !… Que voulez-vous de moi ?
    – C’est une chose importante ; elle ne peut se livrer en quelques mots…
    – Je ne conçois pas de sujet qui ne puisse se condenser en une phrase. Soyez bref !
    – Je m’y appliquerai… Il s’agit d’un de mes amis…
    – Qui ?
    – Le marquis des Éperviers.
    – Ce nom ne me dit rien ! trancha l’abbé en tournant vivement le feuillet qu’il venait de noircir.
    – En êtes-vous sûr ? insista Victor.
    À ces mots, Brandelis de Grandville daigna enfin lever les yeux sur son solliciteur.
    – Absolument ! confirma-t-il, détachant chaque syllabe avec un air de férocité.
    – Ce nom, poursuivit Victor, aurait certainement dit quelque chose à l’une de vos connaissances que j’ai trouvée assassinée avant-hier après-midi…
    – Qui ?
    – Maître Péruchot, un marchand de chandelles de la rue Saint-Sauveur…
    – Tué, dites-vous ! bredouilla l’hôte de Victor en se dressant.
    – Oui, je l’ai vu étendu, le visage en sang, aussi près que je vous vois là.
    Le jeune vicaire, qui portait le petit collet par-dessus son habit de drap bleu, approcha son museau de renard et resta un moment à humer le messager que sa périlleuse fortune lui dépêchait.
    – Et qui me prouve, souffla-t-il, que vous n’êtes pas en train d’inventer cette histoire pour me faire livrer des choses que vous seriez bien satisfait de savoir ?
    – Regardez-moi ! repartit hardiment le visiteur, ai-je la mine de quelqu’un qui galèje ?
    – Je ne me fie jamais à la mine des gens !… La vôtre ne me paraît pas farouche, c’est vraiment tout ce que je puis en dire. Et d’abord, qui êtes-vous ?
    Victor tendit le bras pour montrer à son annulaire l’écu doré de sa maison.
    – Je suis le fils de Jean de Felzins, comte de Gironde, gentilhomme rouergat. J’habite Paris depuis moins d’une semaine et l’on m’a chargé d’une commission pour vous.
    – C’est ce marquis des Éperviers qui vous a demandé de venir ?
    – C’est lui ! et à défaut de maître Péruchot dont je n’ai pu, chez lui, trouver que le cadavre, je viens m’acquitter de ma mission auprès de vous qui êtes vivant.
    – Encore vivant ! rectifia l’abbé en marmonnant lugubrement comme pour soi. Et ce marquis, reprit-il en renfourchant son ton cassant, où l’avez-vous connu ?
    – Je l’ai tout simplement rencontré sur ma route et, sans savoir d’abord le double personnage qu’il faisait, chevauchant en sa compagnie entre Martel et Bellac, je suis devenu son ami.
    – Vous en conviendrez, voici qui est singulier !
    – Singulier peut-être mais c’est la pure vérité, que je signerais, s’il le fallait, de mon sang.
    Brandelis de Grandville, la narine frémissante, fit un tour complet de son hôte. Il le trouva peu disposé à

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