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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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jeune prédicateur, drapé dans un long surplis immaculé dont les fronces ruisselaient depuis ses épaules frêles, extrêmement blanc de visage lui-même, demeura un moment planté sans mot dire sous l’abat-voix de marbre coloré. Ainsi campé, le cheveu fou, farouche et jetant l’effroi, dominant silencieux le flot des perruques, fontanges et crêpes de deuil, que l’impatience commençait d’animer d’un frisson houleux, il paraissait reculer l’instant d’annoncer des châtiments implacables.
    Après avoir chaussé de toutes petites lunettes de fer, il entama son prêche en relisant en français, d’une voix monocorde mais belle, l’Évangile qu’on venait d’entendre en latin : c’était la parabole du serviteur auquel son maître vient de faire remise d’une dette de dix mille talents et qui s’empresse tout aussitôt d’exiger cent deniers d’un de ses pauvres débiteurs.
    – Fameux sujet que le pardon pour un incendiaire ! marmonna monsieur Davignon qui, tel le badaud captivé par l’audace du funambule prêt à s’élancer sur son fil, retint aussitôt son souffle.
    Brandelis de Grandville posa son petit évangéliaire, ôta ses lunettes, exaspéra la foule par un dernier silence avant de parler sur un ton dont le pathétique ne fit que croître.
    – Mes frères ! l’Évangile que je viens de vous lire m’oblige de vous parler de l’amour qu’on doit à ses ennemis… Dans nos murs les voluptés de la chair ne font pas de grands ravages, mais la haine se glisse aisément dans les cœurs qui sont très sensibles aux moindres injures et qui ne savent pas ce que c’est que de pardonner. Je vous le dis pourtant, en Jésus-Christ, il n’y a ni Levantins, ni Africains, ni Grecs, ni barbares. Tous les chrétiens sont également obligés de se soumettre à sa Loi qui défend de se venger et commande d’aimer ses ennemis et de leur faire du bien. Les autres commandements sont des commandements de Dieu mais celui d’aimer ses ennemis est le commandement de Jésus-Christ car il l’a fait à ses disciples comme de lui-même : « Je vous le dis, moi qui suis le fils de Dieu vivant, moi qui suis votre législateur, votre maître, votre roi, votre sauveur, moi qui ai droit de vous imposer de nouvelles règles plus parfaites que les anciennes parce que ma Loi est une Loi de perfection et que je veux que tous mes disciples soient parfaits, moi qui ai donné le premier exemple de cet amour, moi qui ai prié pour ceux qui me faisaient mourir… »
    Parvenu à ce point de son sermon, en ayant fait passer dans l’assistance un premier long frisson, Brandelis de Grandville brisa brusquement son élan pour enchaîner avec douceur :
    – Ce n’est pas que la philosophie des anciens, qui ne connaissaient pas le vrai Dieu, n’ait hautement parlé du pardon des injures et qu’elle n’ait prononcé qu’il y avait de la grandeur et du courage à les mépriser. La vanité de faire une action extraordinaire, le désir d’acquérir la réputation et l’estime des hommes, les portaient souvent à oublier les torts qu’on leur avait faits ; mais ils ne chassaient pas de leur cœur l’aversion des ennemis et ils ne songeaient pas à obéir à Dieu comme peuvent et doivent le faire des chrétiens… Seul l’amour des ennemis est la marque naturelle, infaillible, indubitable que vous êtes enfants du Père Céleste et par conséquent de Jésus-Christ. S’il faut reconnaître les enfants de Dieu à cette marque, hélas ! que j’en trouve peu, mes frères, dans cette paroisse car qui de vous autres aime son ennemi ? Qui fait du bien à ceux qui le persécutent ? Qui prie pour ceux qui le calomnient ?… Au contraire, il n’y a dans votre cœur qu’amertume, haine et désir de vengeance, injures et malédictions dans votre bouche. Ne vous trompez pas vous-mêmes, ne m’alléguez pas que vous venez à l’église et que vous entendez volontiers la parole de Dieu, que vous fréquentez les sacrements ; avec tout cela même je vous dis que vous n’êtes pas chrétiens parce que vous n’aimez pas vos ennemis et vous ne vous délivrez pas de vos péchés. Il n’y a que l’amour qui efface le péché et puisque l’amour n’est pas dans votre cœur, Dieu ne vous a pas pardonné.
    Brandelis de Grandville s’interrompit une nouvelle fois mais ce nouvel accès de mutisme, qui avait fait dresser la plupart des têtes vers lui, se mua en sensation de tourbillon lorsque ceux qui l’observaient découvrirent

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