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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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pas quitter des yeux Clémire pour dérober à la mégère l’air de trouble dans lequel son bagou venait de le précipiter.
    – Je suis comme votre frère, marmonna-t-il, je n’aime pas le lapin mais moi c’est par fidélité de sentiment… : cela remonte au jour où, tout enfant, j’ai surpris un braconnier qui dépeçait celui que j’avais apprivoisé.
    – Vous me direz des nouvelles du bœuf ! reprit roguement la serveuse qui venait d’accueillir l’histoire de Victor par un mouvement de l’index sur la tempe signifiant qu’elle doutait de l’intégrité de son mental, d’ailleurs, enchaîna-t-elle en ricanant, cela vous revigorera car, dans mon pays de Brie, les promises font prendre de l’oignon à leurs gars pour les rendre endurants.
    Lorsque cette furie, sifflotant dans un grand balancement de croupe, eut tourné les talons, Clémire contemplant la mine ahurie de son compagnon, ne put contenir un magistral éclat de rire.
    – Vous n’êtes guère accoutumé, cela se voit, au parler des faubourgs.
    – Mais vous, d’où vous en vient la pratique ? s’étonna Victor.
    – Moi ! répliqua-t-elle dans une moue espiègle, je passe la moitié de ma vie dans la rue… J’accompagne notre servante à la halle et je me trouve mille motifs nécessaires ou frivoles qui me donnent prétexte à traverser la ville… Je flâne, je musarde, je m’arrête partout ou quelque chose d’inhabituel parvient à fixer mon regard.
    – Et le reste du temps ? s’enquit Victor.
    – C’est beaucoup moins gai, poursuivit-elle en s’attristant soudain, l’après-midi, tous les après-midi, j’aide mon frère à préparer un grand ouvrage sur la grâce… Je suis seule à pouvoir relire son écriture de chat et à savoir la transformer en calligraphie.
    – En somme, constata Victor, tout comme moi, vous êtes une galérienne de plume.
    – Vous, au moins, objecta-t-elle, êtes-vous devant vos pages blanches plus paisible que moi !
    – Qu’en savez-vous ? Vous ne connaissez rien de ma vie.
    Et aussitôt, pour lui montrer qu’il partageait avec elle un fardeau d’angoisses, il entama le récit de ses dernières semaines. Il se laissa même aller pour la première fois à narrer toute l’histoire du chevalier de Carresse et des engagements qu’il avait contractés envers lui.
    – Votre frère sait quelque chose à son sujet, conclut-il, il pourrait m’aider.
    – Mon frère sait tant de choses graves, murmura Clémire comme à part elle… J’ignore tout de ses secrets et je ne puis rien faire d’autre que contempler son front qui se couvre de rides.
    – Il me suffirait d’un nom, insista Victor, le nom de celui qui, jusqu’à cet été, a protégé les révoltés du Limousin… Muni de cet indice, j’aurais assez de force pour débrouiller l’écheveau dans lequel nous nous étranglons tous.
    – Je ne sais rien, confirma Clémire avant de fixer Victor droit dans les yeux et d’ajouter navrée : Je vous conjure de me croire.
    Ils restèrent un moment silencieux, écrasés par la densité des mystères auxquels ils se cognaient et ce fut le brouhaha de la salle qui vint les tirer de l’abîme où les précipitaient leurs réflexions.
    Ils se trouvait à côté d’eux une tablée de menuisiers, les hommes avec leurs habits de compagnonnage, les femmes couvertes de coiffes aux plis savamment soulignés. Ils étaient réunis autour d’un petit baptisé dont on avait sans façons posé le berceau parmi les entremets.
    – Longue vie à notre petit saint Joseph ! s’exclama soudain un vieillard à figure parcheminée en chinquant de droite et de gauche.
    Il avisa Victor qui s’était retourné en l’entendant porter son toste.
    – Trinquez avec nous, monseigneur ! lui lança-t-il, vous serez le bon génie de cet enfant. Les grands lui commanderont de l’œuvre…
    – Et par fortune aussi ils le paieront ! ajouta malicieusement l’un des petits-fils de l’ancêtre en faisant s’esclaffer les convives.
    Clémire et Victor répondirent à l’invitation et furent ovationnés.
    – Toutes les félicités imaginables à votre héritier ! s’exclama ce dernier après avoir sablé le petit verre de saumur qu’on venait de lui tendre.
    – Je me nomme Pierre Jadot, reprit l’ancêtre disert en place de sa progéniture, vous voyez là toute ma famille établie avec moi près du Carrousel : les deux Jadot déjà bien grisonnants, mes fils, qui vont me succéder bientôt. Les cinq gaillards, mes

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