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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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à votre protecteur pour qu’il se manifeste.
    – Je l’ai toujours pensé ainsi, avoua Clémire, je me suis aussi convaincue que ce cri ne pourra s’éteindre que par la réussite ou la mort… Je me suis résignée aux colères et aux larmes et je vis dans leur compagnie comme les moribonds avec les douleurs auxquelles ils ont fini par se faire.
    Tout en parlant, ils avaient obliqué par la rue de la Bonne-Morue pour gagner la grille du palais des Tuileries où, devant le pont-tournant du jardin, quelques âniers louaient pour dix sols des montures aux casse-cou désireux de gravir les faibles pentes de la colline du Roule 170 .
    – Voici qui est plus gai qu’un coche, ne trouvez-vous pas ? s’écria Victor en désignant deux baudets aux nez blancs qui semblaient constituer une paire.
    Clémire, roulant doucement la tête entre les épaules et battant en même temps des mains, répondit à son compagnon par un rire cristallin. Aussitôt celui-ci s’aboucha avec le loueur.
    – L’âne c’est Joseph, la mule c’est Joséphine ! confia l’ânier qui s’était mis à distribuer forces courbettes après avoir remarqué les talonnettes rouges de son chaland.
    Il poussa la complaisance jusqu’à aller offrir son dos à Clémire pour lui servir de marchepied et l’aider à se hisser sur la paillasse de crin qui tenait lieu de selle.
    Il n’est sans doute pas plus capricieux bestiaux que les quadrupèdes à raides oreilles. En tout cas ceux que montaient les jeunes gens, après avoir longtemps renâclé à avancer, se mirent ensemble brusquement au galop. Ils dépassèrent à toute allure un char à bancs bondé d’ouvriers des faubourgs qui montaient, leurs paniers de victuailles sur les genoux, à l’assaut des cabarets des Porcherons. L’attelage qui allait au pas pesant de quatre gros bœufs rouges salua la cavalcade d’une bordée de hourras et Victor, détournant la tête, put apercevoir longtemps des garçons en sayons de futaine qui lui adressaient de grands signes de connivence.
    Laissant sur leur gauche la faisanderie de la Muette et le bois de Boulogne, réserve de chasse royale qu’une muraille fermée de huit portes interdisait au public, ils atteignirent, après une heure de galopades entrecoupées de pauses obstinées, le cabaret de la Mère Gabrielle, situé à Neuilly, près du pont de bois qui enjambait la Seine. L’établissement, précédé d’un ample cercle d’ormes auxquels s’accrochaient encore des restes de feuillages séchés, se présentait comme un assemblage de bicoques de bois que le succès avait faites chaque fois plus vastes et qui s’égrenaient à la queue leu leu comme des boîtes gigognes. C’était à la belle saison la plus fameuse guinguette des bords de l’eau : les grisettes y accouraient en rangs serrés pour lever des galants, les bourgeois s’y pavanaient au bras de leurs maîtresses, les marquis s’y jetaient par carrossées entières afin de humer l’odeur affriolante de la canaille et de la godinette. Les verts clairets d’Argenteuil, de Montmartre ou de Sèvres qui avaient la fâcheuse réputation de « faire sauter leurs buveurs comme des chèvres » et qui coûtaient, sans l’octroi, moitié prix des mêmes servis dans Paris, s’y débitaient par quartes et barriques entières.
    À force d’attente, Victor et Clémire se virent attribuer un guéridon posé dans l’effrayant courant d’air d’une terrasse que recouvrait le cep d’une vigne sans feuille. La femme qui s’approcha pour les servir faisait songer assez justement par son costume aux hurlantes couleurs, à une idole japonaise. Le vin blanc de plus avait fait d’elle une adepte de la secte des trembleurs. Elle possédait le parler du rempart qui faisait se pâmer les belles dames, et qui, dans l’endroit, était devenu argument de commerce pour gober une clientèle huppée avide de plaisirs communs.
    – Ici, c’est à prix fixe 171 ! lança-t-elle, lapin aux croûtons, bœuf gras aux oignons de Suresnes, œufs de Nanterre aux trompettes de la mort, tout ça pour dix sols !… Ce n’est que l’embarras du choix.
    – Du lapin ! s’empressa de répondre Clémire avant d’ajouter à l’adresse de Victor : je n’en mange jamais parce que l’abbé le déteste.
    – Et toi, ma poule ? s’impatienta la bonne femme en roussissant notre héros indécis à la flamme de son regard d’alcoolique.
    – Du bœuf aux oignons, jeta celui-ci comme au hasard.
    Il affecta de ne

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