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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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sont saouls.
    Victor combattit mollement un raisonnement qui lui paraissait si fort. À vrai dire, il ne souhaitait rien faire qui puisse gâcher son bonheur ; aussi, après avoir émis deux ou trois timides objections, étendit-il les jambes vers les chenets pour marquer qu’il s’installait.
    – Ma foi, c’est dit ! conclut le savetier d’un accent joyeux, et si cela vous chante, en attendant que la nuit tombe, vous pourriez accompagner Clémire au verger. Vous goûterez aux dernières pommes de Colombes ; elles sont rouges et croquantes, en tous points dignes, ma foi, de la table d’un roi.
    Pendant que son père nourricier parlait ainsi, Clémire s’était placée devant le petit miroir encadré de bois d’ébène, seul signe de vrai luxe dans toute la salle commune. Elle dénoua ses cheveux emmêlés dans le fils d’archal 174 de sa fontange et les laissa retomber sur ses épaules en opulents bouillons. Elle ajusta ensuite au droit de ses yeux un chapeau de paille que festonnait une étamine de siamoise et en un clin d’œil, comme par la magie de ces machines de Torelli que Victor avait vues fonctionner à l’Opéra, elle se trouva métamorphosée en la plus charmante des bergères.
    Notre héros, que l’éblouissement venait de faire frissonner, lui prêta un bras pour sortir.
     
    Le verger des Lheureux était situé en bordure du chemin allant de Colombes à Courbevoie. La vigne mal entretenue, accrochant encore ses sillons incertains aux pans les mieux exposés des coteaux, rappelait le souvenir de ces petits vins de Paris, élevés à l’origine pour les besoins de la célébration des messes et qui, par la pénurie des temps de la guerre de Cent Ans, avaient été promus au rang de boisson de ménage. Tout cela formait un vaste et magnifique panorama qui s’étendait de part et d’autre des hauteurs, vers le sud, en direction de la forêt de Saint-Germain ; vers l’est, presque à pic au-dessus de la forêt des clochetons et des pignons de Paris. Des maisonnettes isolées, des cabanes plantées à l’entrée du moindre lopin, des puits ombrés de buis sauvages, posaient un peu partout la marque construite des travaux humains et, grâce à la profusion des lierres et des glycines, tout cela se fondait dans des perspectives onduleuses.
    Victor, adossé au tronc d’un vieux pommier branchu, contemplait le damier des parcelles coloriées de touches variées par l’effort distinct de chaque laboureur. La sœur de Brandelis, à genoux près de son panier, astiquait les derniers fruits rendus par l’arbre avec un pan de chemise qu’elle venait de tirer de sa robe retroussée.
    – J’ai le sentiment de fixer un coin de paradis, murmura Victor qui paraissait s’engourdir dans un songe.
    – Lorsque j’étais enfant, je suis venue ici bien des fois avec l’abbé, dit Clémire, lui était déjà assoiffé de tumulte et, depuis cette hauteur, il s’exerçait à tenir Paris dans sa main. Moi, futile, je rêvais au bonheur des élégantes et aux facilités que je prêtais à la vie citadine… Hélas ! lorsque nos mystérieux protecteurs se sont résolus à nous laisser humer l’air merveilleux de la ville, nous avons déchanté. Bientôt Brandelis, qui ne rencontrait qu’obstacles en travers de ses idées folles, ne m’a plus montré que la face aride des choses : il m’a vouée comme lui à être ballottée par l’ouragan qui poussait ses ambitions.
    Victor, détournant son regard de la fuite des collines où le jour s’abaissait en décrivant des volutes, considéra Clémire :
    – Ce temps, à moins que vous ne le regrettiez, doit bientôt finir ! Votre frère est parvenu à ce moment de l’existence où il faut savoir prendre seul en charge son destin… Vous ne pouvez rien de mieux pour lui désormais que recopier quelques pages de discours. Il doit vous laisser en repos et vous donner la liberté de ne songer qu’à vous.
    – Songer à moi ? répéta Clémire étonnée tandis que de ses yeux noir jais roulaient deux ou trois larmes.
    – Oui ! insista Victor, vous sentir enfin maîtresse de vos actions… Mais puis-je vous demander une faveur ? ajouta-t-il d’un ton de voix rabaissé tout en faisant pivoter une pointe de son tricorne sur un de ses genoux.
    – Faveur accordée ! répondit-elle dans un souffle.
    – Je voudrais revenir ici dès dimanche prochain, vous retrouver et poursuivre avec vous ce bavardage câlin qui m’apaise étrangement.
    – J’allais vous en

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