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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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sur l’empeigne des galons ou des bouffettes. Elle recevait les pratiques 173 devant le paravent qui dérobait aux regards la partie d’atelier, offrant aux messieurs du vin rouge de Champagne ; aux dames, du quatre-quarts de sa façon qu’elle parfumait à la fleur d’oranger.
    Clémire qui, depuis le coteau plein de vignes, avait montré à Victor le petit bourg blotti contre l’enceinte du château, redécouvrait avec émotion le lieu où enfant elle s’était plu à jouer et courir en compagnie des enfants des serviteurs de la duchesse. Son cœur allait la chamade lorsqu’elle gravit les quatre marches usées qui accédaient à la porte vitrée des Lheureux.
    – Chère enfant, nous t’attendions ! s’exclama la savetière que Clémire appelait maman.
    – Elle est, ma foi, chaque fois plus belle ! fit avec son accent de Lorrain le mari qui, à chaque détour de phrase, s’escrimait de la locution « ma foi ».
    Clémire, qui sentait monter des larmes de joie, se jeta dans les bras des deux vieux artisans.
    – Tout ici me rappelle de si doux moments ! murmura-t-elle en tortillant la moustache du père Lheureux comme elle s’était accoutumée à le faire lorsqu’elle était au maillot.
    – La voici bien, ma foi, ma petite piouleuse ! grogna le bonhomme en avançant comme à plaisir son vieux museau ridé.
    Victor, présenté comme un ami de longue date, fit grosse impression car on était habitué dans la maison à jauger le crédit des chalands aux détails de costume. On l’installa près de l’âtre qui exhalait les appétissantes senteurs d’une daube mijotant de côté dans un poêlon de terre.
    – Tu nous retrouves un peu plus vieux qu’à Pâques, fit le père Lheureux, toujours à tailler la semelle, à coudre et à piquer, plus désormais par hantise de n’avoir rien à faire que par nécessité de survivre.
    – Je vous découvre chaque fois plus jeunes, applaudit Clémire, toujours aussi aimables et gais… L’air de ces coteaux vous rendra centenaires !
    – Ne parle pas de malheur, mignonne ! ronchonna le savetier en reposant sa bouffarde, devenir vieux avec les infirmités de l’âge n’est pas, ma foi, un sort que nous envions. Nous nous en remettons à Dieu pour qu’il nous enlève quand il le voudra mais, c’est la seule grâce que nous lui demandons, assez près l’un de l’autre pour n’être pas séparés trop longtemps entre terre et purgatoire.
    Il regarda sa femme en clignant un œil à la fois sombre et railleur qui disait à quel point il la chérissait. Elle s’était approchée de la chaise basse sur laquelle il travaillait pour caresser ses larges épaules.
    – Tu nous fais le plaisir de demeurer avec nous quelque temps ? s’enquit-elle en considérant Clémire.
    – Je ne sais pas, répondit la jeune fille en se troublant.
    – Comment ! tu ne sais pas, se récria le père Lheureux, ton frère nous a écrit pour nous dire que nous devions, ma foi, te garder ici au moins deux semaines.
    – Mais je craindrais de déranger, moi qui ne sais plus rien faire d’autre qu’écrire.
    – Si ce n’est que ça, répliqua la savetière, tu n’as pas à craindre de manquer d’ouvrage. Un charreton est venu déposer pour toi deux malles de papiers… J’ai bien peur que ce ne soit de la part de quelqu’un que je sais.
    Trottinant à tous petits pas, elle s’élança vers la porte et découvrit à Clémire, en la faisant sourire, les lourds présents de Brandelis.
    – C’est ce que vous pensiez, murmura la jeune fille en contemplant les marques qui frisaient les manuscrits à recopier, mais, chère maman, vous me laisserez également vous aider à livrer vos clients comme je le faisais lorsque j’avais six ans… Nous partirons ensemble par le coche du Roule chercher l’ouvrage dans les faubourgs.
    Tout à fait rassurée par le bon sourire de la mère Lheureux, elle se jeta de nouveau dans ses bras.
    – Maintenant, s’exclama le savetier, il faut décider ton ami à souper avec nous car nul ne peut, ma foi, quand c’est jour de daube, repartir d’ici sans avoir goûté la cuisine de ta mère… Ce sera bredi-breda mais de bon cœur tout de même.
    Victor voulut protester avant que Clémire se soit acquittée de la commission.
    – Je craindrais de ne pas retrouver mon chemin dans la nuit…
    – Bah ! fit le savetier, toutes les routes d’ici mènent à Paris et, lorsqu’on rentre le dimanche soir, il suffit, ma foi, de se guider aux cris de ceux qui

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