Le marquis des Éperviers
succès ! proclama la tante de Diane avant de réduire un peu plus la voix pour s’engager dans la passe étroite de la confidence, quant à moi, je suis bien satisfaite de pouvoir vous entretenir seul avant que ma nièce ne pointe ici son bout de nez.
Tout en disant ces mots, elle avait rapproché son fauteuil, se composant la mine, à la fois accessible et farouche, du directeur de conscience.
– Et d’abord, insista-t-elle, ce bout de nez ne le trouvez-vous point charmant ?
– Assurément ! répondit Victor sans songer à quelque malice, de plus votre nièce est avec moi dans une connivence qui tient à ce que nous avons parcouru jusqu’ici des destins étrangement semblables.
Madame de Fontalon, se calant au dossier de sa bergère, poussa un soupir d’aise dont la signification échappa complètement à son interlocuteur. « Pour une fois, pensa-t-elle, l’abbé ne s’est pas égaré sur un point de sentiment. Il y a de la passion chez ce garçon !… »
– Diane, reprit-elle tout haut en fixant au travers des guillochures du cristal la transparence de son clairet, est, j’ose le dire, une perle tant pour l’agrément de sa personne que pour la vue très saine qu’elle a de l’activité d’une femme dans un ménage moderne.
– D’ailleurs, toutes ses vues sont modernes, opina Victor qui ne cherchait alors qu’à reculer l’instant où il allait devoir engloutir son vin pur.
– Il est temps de mettre ces vues en pratique ! reprit la tante de Diane avec un accent d’enjouement martial, ma nièce aura dix-huit ans ce mois-ci et il est déjà grand temps de prendre garde à ce que la fleur ne se tourne pas vite en gratte-cul.
Victor sourit à l’expression : la bonne femme en gardait comme cela quelques-unes que son père lui avait retransmises de la verte époque d’Henri IV.
– Heureux celui qui pourra l’épouser ! répliqua-t-il en pensant répondre innocemment à l’entrain de son hôtesse.
« Est-il fin ce jeune homme, songea-t-elle, il attend que nous nous déclarions ! »
Reprenant à haute voix, elle accompagna la suite de son discours d’une moue qui alla en se creusant.
– Diane, hélas ! n’est pas pressée… Elle regarde filer les jours mais je sais, moi qui me suis mariée tard, qu’on ne gagne rien à musarder… Je ne désire rien tant que la voir établie et heureuse, pouvoir me réjouir de cela au moins avant de monter flâner parmi les anges.
– Ce sentiment vous honore, reprit Victor en inclinant respectueusement la tête, sa véritable mère n’eût pas mieux agi.
– Êtes-vous galant avec une vieille ah ah 176 comme moi ! s’émerveilla-t-elle en clignotant des paupières, tenez ! vous méritez que je vous livre le secret de mon petit doigt car, il me faut vous l’avouer, j’ai déjà quelque idée sur le mari qui conviendrait à ma nièce.
Elle fut arrêtée sur la pente des aveux par l’irruption de Diane en personne, pieds nus et cheveux retombants, les épaules couvertes d’un foulard à franges couleur cuisse de nymphe 177 qui lui faisait une sorte de burnous.
– On me verse de l’eau sur la tête en mon absence ! fit la nouvelle venue avec un accent de colère, c’est manqué ! il faudra se résoudre à poursuivre ou changer de sujet.
Et se tournant vers Victor :
– Eh, quoi ! monsieur de Gironde, vous ne m’aviez pas habituée jusqu’ici à rompre des lances dans mon dos ?
À ces mots lâchés avec insolence, notre héros fut comme la belette craintive qui sent le collet se serrer sur son cou.
– Il n’en est rien, madame, bégaya-t-il en se tordant sur son siège, je vous assure.
– Comment ? repartit la tante de Diane en partant d’un rire jaune, vous connaissez ma nièce depuis bientôt trois mois et vous n’avez encore jamais essuyé ses sarcasmes et ses faux reproches ?… Ne vous y laissez pas entraîner, mon garçon, à cette heure on se moque de vous !
Diane, furieuse de se voir circonvenue, s’adossa sans mot dire à la colonnette d’un petit cabinet d’ébène. Contrebattant un goût du drame qui l’aurait rendue capable de pousser ce jeu-là jusqu’au soir, elle faisait effort pour réprimer la furieuse envie de rire que déclenchait chez elle le spectacle de la mine effarée de Victor.
Ce fut ce dernier, qui après avoir perdu un à un ses moyens, supplia madame de Fontalon d’intervenir.
– Je vous en prie, madame, dites-lui de quoi nous parlions.
Celle à qui s’adressait la supplique, après
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