Le marquis des Éperviers
dans notre maisonnette de rondins pétrissant des galettes de mil… Personne ne viendra nous souffler ce que nous avons à faire, dire ou penser.
– Vous rêvez, Diane ! murmura doucement Victor en se relevant, mais c’est égal, c’est un rêve bien charmant.
– La peste soit des âmes charitables qui veulent contre vous faire votre bonheur ! s’exclama-t-elle dans un sanglot en se jetant au cou de celui dont elle venait de faire son complice.
Cette scène eut lieu la veille du premier dimanche où Victor, après avoir mis Hercule dans la confidence de l’existence de Clémire, revint à Colombes. Il apparut à la jeune fille tout pensif car l’espèce de douche froide qu’il venait de recevoir par la nouvelle des projets qu’on avait formés pour lui, l’avait tenu agité toute la nuit.
– Vous voici bien rembruni ? lui dit-elle lorsqu’ils eurent fait quelques pas sur la route d’Argenteuil.
– C’est, répondit-il d’une voix dissoute, qu’on veut me marier avec une personne que j’estime fort mais que je n’aime pas d’amour.
– Ah ! fit Clémire en se mordant les lèvres.
– Concevez-vous cela ? s’étonna Victor.
– La belle affaire ! tous les mariages sont ainsi faits, ce sont des arrangements de grandes personnes auxquels il n’est rien à redire tant qu’on n’a pas trente ans.
– Mais, madame, reprit-il effondré, celle qu’on me destine ne veut pas de moi. Elle me détestera, c’est sûr, si on la force à cet hymen.
– Non ! persifla Clémire, elle s’habituera, voilà tout !… Elle fera comme toutes celles qu’on a traînées contre leur gré devant l’autel.
– Mais c’est une chose aussi affreuse à dire qu’à penser, protesta Victor.
– Et comment se marie-t-on dans votre Rouergue, monsieur de Gironde ? lui répliqua-t-elle avec une pointe d’humeur.
– On s’y marie, ma foi, plutôt selon son inclination.
– Les paysans peut-être, mais ceux de votre sang, j’en doute.
– Autour de moi, même chez les gens de condition, je n’ai jamais connu de gens forcés.
– Singulier pays ! railla-t-elle, c’est de la Thébaïde dont vous parlez, ce n’est pas d’une province de notre France.
– Hélas ! se lamenta-t-il, que n’y suis-je demeuré pour m’éviter la confusion présente !
– Si cela avait été, s’empressa de murmurer la sœur de Brandelis, regrettant brusquement son aigreur, je n’aurais pas à cette heure le plaisir d’aller en votre compagnie.
Victor, à ces mots, fut parcouru d’un frisson qui le fit s’abandonner un peu plus au bras qu’elle lui prêtait. Il coula son regard du côté de sa battante fluide et légère qui, en collant à sa taille coquette, découvrait ses chevilles aux fines attaches.
– De toute façon, reprit-elle en le considérant de nouveau d’un œil tendre, puisque tout est donné à l’industrie des amoureux, rien ne doit être impossible à ceux qui s’accordent à démolir les projets qu’on fait pour eux contre leur gré. Tout repose sur vous !… Voulez-vous ou ne voulez-vous pas de ce mariage ? Si c’est non, tout est aisé car vous êtes deux à le refuser et qu’on n’a jamais pu forcer très longtemps deux êtres qui ne s’aimaient pas à vivre ensemble. Si, au contraire, vous vous laissez convaincre d’y souscrire, vous tomberez dans le cas où se trouvent les couples qui ne tiennent que par l’industrie d’un des deux époux. Cela démontre, une fois de plus, que notre paradoxale chrétienté ne requiert qu’un consentement pour fonder deux bonheurs… De préférence celui du mari, conclut-elle perfide.
– Non, madame, protesta Victor qui brûlait depuis quelques secondes d’interrompre le discours de Clémire, je ne veux point de ce mariage !… Je suis trop jeune, sans fortune, ni établissement solide, ce serait inconscience que de vouloir à présent me charger d’une épouse.
– Fort bien ! répliqua-t-elle avec un franc sourire, dans ce cas votre affaire ne se fera pas.
– Comment cela ?
– Il suffit d’élever les difficultés comme des barricades, de faire semblant de ne rien entendre… Je l’ai fait moi-même récemment avec assez de succès ; je saurais être pour vous bonne conseillère.
– Vous l’avez fait ?
Elle cessa de marcher.
– Exactement comme vous l’allez faire !… Figurez-vous que les mystérieuses personnes qui veillent sur mon frère et sur moi s’étaient mises en tête, il y a quelques mois, de me marier à un
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