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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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chaque année avec la même impatience le retour de ces jours où la nature, dans ses ors et ses fanes, paraît se délivrer de ses peines sous mes mains d’accoucheuse.
    À peine eut-elle achevé de dérouler ces phrases pleines de regrets, que parurent trois laquais en mandille dont le premier portait un plateau d’argent sur lequel s’étageaient en pyramide des poires et des pêches projetant, les unes par-dessus les autres, leurs ventres énormes luisants de leurs robes de sirop figé. Par l’effet de la discrétion provinciale qui fait rechercher la modestie lorsqu’on est en visite, Victor s’attarda longtemps à choisir ce qu’il y avait de plus petit. Après avoir ainsi, malgré lui, donné le spectacle de l’impoli qui chipote, il se fit servir, sur une assiette de vermeil, de la pâte de groseille verte accompagnée d’une prune d’un beau vert bronze dans laquelle il planta aussitôt les dents.
    Madame de Fontalon, roulée dans sa robe de perse à falbalas, la tête enveloppée d’un turban de pintado rouge, était aux anges tandis qu’elle laquait une lèche de pain avec du miel qui filait comme du sucre chaud. Accoutrée ainsi, dans ce décor délicat mais nu, elle se donnait des airs de vieille Turque rêvant dans le fond du harem. On était surtout frappé par ce visage aux pommettes chargées de vermillon à outrance qui gardait les marques d’une beauté singulière et sur lequel l’âge était venu comme une dernière patine.
    – Savez-vous, annonça-t-elle tout soudain, que l’abbé de Thésut m’a fait la grâce hier soir de sortir de sa tanière pour venir bavarder ici en ma compagnie ?… Il m’a dit quelques mots à votre propos.
    – Il est bien bon, madame, de vous importuner d’un aussi vain sujet.
    – Êtes-vous modeste ? se récria la tante de Diane dans un nouvel accès de son rire espiègle. J’ai vu comme il tenait à vous et cela m’a bien étonnée…
    – Étonnée ?
    – Si fait ! reprit la malicieuse bavarde sans cesser de minauder, – pas un mot contre mes vieux amis ! – mais enfin peut-on imaginer plus barbe, plus éteignoir, plus acariâtre que votre nouveau maître ?
    Victor, stupéfait de la sortie, demeura court.
    – N’est-ce pas l’impression qu’il vous fait ? insista-t-elle cruellement.
    – À vrai dire… balbutia-t-il en continuant de tenir un reste de prune confite suspendue par la queue.
    Elle l’arrêta d’un sourire, refermant brusquement son éventail d’ambre qui claqua.
    – Je vous tire d’embarras car décidément je n’entendrai pas une seule saillie contre ce vieux rat, avec qui je me réciproque si bien, sans en être attristée… Je voulais simplement, par ces méandres qui sont le cheminement naturel de ma pensée, en venir à ceci : je n’ai jamais vu auparavant notre abbé si chaleureux à propos de quelqu’un qui n’ait pas passé le demi-siècle. C’est son côté grigou, et sa brute de frère – Ah ! je le hais bien sans remords celui-là ! – a achevé d’en faire un original au point qu’il leur faudra bientôt à chacun une étable à part 175 . Ils se sont construit un univers peuplé de travail irraisonné, de bouderie sur tout sujet, d’ivrognerie secrète…
    Elle avait dit ivrognerie tout bas, en imprimant un brusque frisson à ses fanfreluches mais en pinçant les lèvres et Victor, malgré ce ton rabaissé, avait roulé des yeux éperdus.
    – Si ! si ! reprit-elle toujours chuchotant, je suis certaine de ce que j’avance. Le chevalier, surtout, car à son propos ce n’est jamais trop de répéter : vieux garçon, vieux coquin… Dans la désolation de leur célibat ils en sont à répudier toute trace de sentiment. Ils craignent ce qui est neuf, ils détestent la jeunesse… M’expliquerez-vous comment on peut méconnaître le seul prodige capable de nous éloigner de l’idée de la mort et de rappeler notre ancienne gaieté ? Eh bien ! – J’en suis encore tout abasourdie – vous avez su ferrer ce vieil hibou. Vous l’avez envoûté avec votre latin, lui qui ne jure que par l’insupportable couple que font ces raseurs de Sénèque et de Cicéron. Votre histoire également l’a touché et hier soir, en tout cas, le récit de vos récents malheurs a tiré quelques larmes non feintes d’un œil que je croyais tari.
    – L’abbé est homme de cœur, opina Victor avec émotion.
    – Il est de la vieille roche comme moi et vous pouvez être certain qu’il ne ménagera rien pour votre

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