Le marquis des Éperviers
avoir froncé ses sourcils gris, rameuta sur-le-champ ses manières chattemites.
– De quoi parlions-nous ? fit-elle en singeant la grisette dont la mémoire s’effiloche comme une gaze légère, de fariboles bien sûr, d’hypothèses millénaristes… tout simplement de votre mariage.
Diane eut une grimace douloureuse ponctuée d’un soupir.
– Monsieur de Gironde fait-il désormais partie du conseil de famille ? demanda-t-elle en appuyant l’acidité de son regard.
– Il vous connaît depuis peu, c’est vrai, mais c’est assez pour vous apprécier. Il a votre âge, il…
– N’en dites pas plus, ma tante, je vous entends, murmura la jeune fille à la physionomie tout d’un coup grippée.
Madame de Fontalon articula un nouveau gloussement d’aise puis se tournant vers Victor :
– N’est-elle pas merveilleuse ?… De la pétulance, de l’esprit jusqu’au bout des doigts !… Vraiment, celui qui obtiendra sa foi sera comblé.
Tout en babillant ainsi, elle avait continué de hocher sa minuscule tête dont le turban de pintado soulignait la rondeur.
– Je suis impardonnable, monsieur de Gironde, reprit-elle. … Je ne cesse de discourir et j’oublie que vous êtes venu pour goûter un plaisir dont mon caquetage ne fait que vous priver.
– Le concert peut attendre, bredouilla Victor enferré dans sa confusion.
– Un concert tout pour vous ! précisa la tante de Diane, vous serez son seul public puisque mon notaire m’attend au rez-de-chaussée… En voici bien un autre qui me rogne l’échine mais pour qui je suis forcée de marquer de la patience depuis qu’il m’a assuré, en habile homme, faire grand cas des écrits de Nicole et de Saint-Cyran 178 … Allez ! conclut-elle en invitant son hôte d’un altier mouvement de manchette à traverser son salon, je vous laisse vous régaler sans témoin du plus joli toucher du faubourg.
Victor salua sans plus savoir quelle contenance il prenait, puis s’engouffra dans une antichambre où un valet qui attendait se mit à pousser sous ses pas toute une suite de portes à deux battants. Diane, l’œil enténébré, restée un moment appuyée contre le cabinet d’ébène, s’en décolla soudain pour courir sur ses talons.
Lorsqu’ils furent parvenus dans le cabinet de musique et que le domestique eut disparu, elle éclata.
– Ah, çà !… Êtes-vous devenu fou ? hurla-t-elle en s’effondrant contre le vantail qu’elle venait de claquer de toutes ses forces.
– Que voulez-vous dire ? balbutia Victor qui se tenait raide près du clavecin.
– Êtes-vous sourd ? N’avez-vous rien compris ?
– Rien ! je vous assure.
– Eh bien ! appuya-t-elle avec courroux en accrochant ses index repliés au droit de son regard, on a projet de nous marier tous deux… Entendez-vous cela ?
– Qui dit de telles choses ? s’offusqua-t-il.
– Bon saint Joseph ! êtes-vous enfoncé dans la matière !
– Mais votre tante n’a parlé que de votre mariage, bégaya-t-il, pas une fois elle n’a mentionné mon nom.
– N’aggravez pas votre cas ! trancha-t-elle… Réfléchissez plutôt aux moyens d’éviter ce bel écueil puisque j’ose espérer que, pas plus que moi, vous ne voulez de ce mirifique hymen.
Elle le cloua d’un regard acéré tandis que, une main glissant sur le double clavier d’ivoire, il se laissait choir sur un petit tabouret à vis.
– C’est vrai, murmura-t-il imperceptiblement recoloré, je préfère vous conserver pour amie plutôt que vous prendre pour femme.
Diane s’approcha pour s’emparer de son poignet ballant et le serrer dans l’étau qu’elle venait d’improviser avec ses mains brûlantes.
– Ah ! grand merci ! soupira-t-elle, vous me tirez une épine du cœur… Ma foi est engagée… J’aime Gabriel de Saint-Austremoine sans pouvoir le déclarer publiquement tant qu’il sera chevalier de Malte… Mais nous trouverons bientôt le moyen de nous montrer ensemble, ajouta-t-elle exaltée, s’il le faut il m’enlèvera et nous nous enfuirons aux Amériques.
– Aux Amériques ? répéta Victor basculant dans l’extase, croyez-vous qu’un chevalier de Malte puisse se marier plus facilement là-bas ?
– Par-delà l’océan Atlantique, sous le soleil des îles, reprit-elle emphatique, on ne connaît ni les chevaliers de Malte, ni la tyrannie des familles. Nous vivrons heureux à la lisière d’un bois sauvage… Gabriel, des flèches plein son carquois, traquera le gibier, moi je me tiendrai
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