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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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arrimer plus solidement à sa postérité. Ils ne s’y étaient toutefois résolus qu’après avoir longtemps disputé, dans leur demeure même, au sein de conférences théologiques où la publicité du trouble de leur conscience, jointe à la remarquable étendue de leur érudition, avait su réunir la fine fleur des docteurs réformés de France aux plus célèbres messieurs de Saint-Sulpice. La haute tenue de ces réunions, l’habileté des orateurs, le scrupule des Fontalon, avaient attiré là tout ce que Paris comptait de gens éclairés et l’on admettait couramment que c’était à l’occasion de ces joutes que Turenne avait trouvé le levain de sa propre conversion.
    Victor, à qui, la veille, son oncle avait rapporté l’histoire de cette abjuration et qui ne cessait lui-même d’être hanté par le désarroi de ceux qui se débattent au confluent des deux confessions, monta précautionneusement le grand escalier comme s’il s’était imaginé pouvoir surprendre un écho des disputes qui avaient roulé là trente ans auparavant.
    Il fut introduit dans un salon aux lambris de chêne clair par un domestique en livrée noire qui continuait d’arborer le collet vidé dont les hommes se paraient du temps de la Fronde.
    Madame de Fontalon l’y rejoignit presque aussitôt. Nous connaissons cette vieille femme charmante et gazouillante, la veuve du dernier des Fontalon, seule alors à faire survivre ce patronyme issu du Mâconnais, puisque des deux défunts frères de l’ultime génération, le premier, son mari, n’avait eu d’elle aucune postérité et l’autre, le cadet, resté dans l’hôtel toute sa vie en grande étroitesse avec son aîné, était demeuré garçon. Elle s’était mariée à trente ans avec un homme qui en avait plus de cinquante : c’était un couple de barbons et l’on n’avait pas manqué de faire, par toute la ville, des gorges chaudes de cette union de l’automne à l’hiver. Pourtant, la dernière des Fontalon, fleur tardivement éclose dans l’aridité de cette demeure vouée aux déchirements de conscience quand d’autres, dans la même rue, l’étaient au plaisir perpétuel, avait su, tout en ne retranchant rien d’un style de vie austère, adoucir par ses grâces les tourments d’âme des deux convertis. Ceux-ci disparus, cette veuve riche et toujours avenante, dont plus d’un homme guignait la fortune, avait souhaité ne s’entourer plus que de jeunesse rieuse : elle s’était mise à faire l’hôtelière dans Paris pour tout le ban et l’arrière-ban de son lointain cousinage de province. C’est ainsi qu’elle avait hébergé durant plusieurs mois Gabriel de Saint-Austremoine, cousin issu de germains d’une de ses arrière-nièces et qu’elle avait recueilli, comme en l’adoptant, la pétulante Diane de Solsac dont la parenté lui était encore plus reculée.
    Victor, qui venait de saluer avec élégance, se vit désigner un fauteuil garni d’un pouf de satin jaune.
    – Je vais vous faire porter du vin, du miel et des confitures sèches qui viennent de ma ferme de Grandchamps, lui annonça gaiement son hôtesse.
    Avant qu’il n’ait pu, suivant l’usage des campagnes, protester de l’inutilité de ces soins, elle s’était relevée pour atteindre le cordon de brocart retombant contre le manteau de la cheminée.
    – Vous me blesseriez par un refus, fit-elle en posant un index sur ses lèvres fines, je scelle toujours mes amitiés ainsi. De plus, vous tombez bien ! J’avais besoin d’un compagnon de bouteille pour que mes gens n’aillent pas imaginer que je me livre en solitaire à des plaisirs d’ivrogne… C’est aujourd’hui que je goûte au premier jet de mon clairet accompagné de quelques cerneaux de noix et d’un peu de fromage d’Époisses. Quant aux fruits, vous m’en direz des nouvelles, je les mets en caisse moi-même.
    – Comment, vous faites vos confitures vous-même ! s’étonna Victor en appuyant sur le vous.
    – Oui, lui répondit-elle en partant d’un rire franc, voici bien les derniers plaisirs qu’on se trouve à mon âge !… Comme la plupart des habitants de cette ville, j’ai gardé au sang la marque de mes origines terriennes : dès que je quitte Paris, je m’inquiète du vent, des orages et de la grêle. À l’automne, je deviens cupide. Je me hâte de regagner mes domaines pour veiller moi-même au renouvellement des métairies, à la récolte des fruits et aux vendanges et je vous avoue attendre

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