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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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que tous ces greniers peignaient l’aisance ou la misère mieux que ne l’aurait pu faire le rôle des gabelles : ceux des bonnes maisons étaient peuplés de chats tigrés, gros et gras, pourvus de colliers de cuir teinté. L’huile, le grain, la farine, les châtaignes, le bois de chauffage, y étaient soigneusement rangés en tas ou dans des coffres de bois blanc. Les demeures misérables, au contraire, pullulaient de rats maigres qui, faute de nourriture, s’attaquaient aux lambourdes et aux poutres ; l’eau des gouttières s’y infiltrait, répandant la moisissure, et l’on n’y pouvait trouver que caisses renversées, paillons dévorés, fagots desséchés, le tout galonné d’une épaisse passementerie de toiles d’araignées.
    Les bicoques du Bout-du-Monde tenaient exclusivement au dernier type ; elles étaient habitées par des gens mécaniques 234 , portefaix des halles, commis de la Boucherie, tous gens de peine et démunis d’argent. Leurs soupentes étaient vides, offertes à l’injure des vents, accueillantes aux corneilles et aux hirondelles. Elles n’avaient rien à cacher et l’on passait de l’une à l’autre comme dans une forêt l’hiver, de clairière en clairière, sans l’obstacle des lianes.
    Pour mener leurs recherches, les jeunes gens s’étaient répartis en deux groupes : Victor s’était joint à Gabriel de Saint-Austremoine qui n’avait pas voulu se séparer de Diane grimée en petit maître. Peu avant midi, ils faisaient tous trois halte au faîte d’un de ces chicots de bâtisse menaçant l’effondrement qui surplombait les restes du vieil Hôtel de Bourgogne. Par la longue échancrure d’une acrotère ruinée, ils pouvaient apercevoir dans le lointain le vidame, François Guyot, et Jean-Baptiste Cantaloube, franchissant le versant d’une maison dans laquelle ils n’avaient pas pu entrer. Ils s’approchaient d’eux en rampant sur un versant d’ardoises.
    Diane, alanguie contre une pile de sacs de son qui exhalaient des volutes de poussière, venait d’extirper de sa musette quelques tartines de fromage pour les offrir à ses compagnons. Tout en mangeant de bon appétit, nos trois héros s’amusaient à se découvrir dans un extravagant laisser-aller auquel ils trouvaient le piment des choses inaccoutumées. Victor, sans perruque et ayant enfoncé en méchant garçon une sorte de bonnet de laine, se trouvait tout joyeux d’avoir pu repasser les ladrines crevées et l’habit râpé qu’il portait en arrivant à Paris. Avec ses mollets à l’air, ses cheveux courts en furie, son bout de nez noirci, il ne lui manquait plus qu’un furet sur l’épaule pour ressembler à ces jeunes Savoyards qui criaient par les rues pour ramoner. Gabriel, en bottes et vieux justaucorps à brandebourgs, promenait sur toutes choses son éternel sourire triste, une mine de brave dégoûté à jamais du fracas des batailles. Diane, l’ensorceleuse, moitié garnement, moitié fée, avait passé une culotte noire que les pans enfouis d’une chemise grimaçante gonflaient en forme de hanches de Gargamelle.
    – Ce Bout-du-Monde est un enfer, soupira-t-elle avec un ton de grande lassitude, même les rats l’ont déserté !
    – Pourtant quelque chose me dit que nous brûlons, fit Victor, si j’avais eu à me cacher, je serais venu ici, dans ce dédale qui permet d’entrer et de sortir comme on veut…
    – Nous n’avons vu ni Jean-Baptiste, ni Isaïe, reprit la jeune fille, tout comme vous hier, je commence à craindre que, dans sa détresse, l’abbé de Grandville n’en soit venu à divaguer.
    – Ce n’est pas certain, objecta Gabriel, un prêtre s’habitue à prendre Dieu, les prophètes ou les saints à témoins de ses heures difficiles.
    – Je pense, reprit Victor, qu’il s’est trouvé impressionné par quelque chose placé sous son regard, mais quoi ?
    – En ce cas, poursuivons notre traque ! lança Diane altière avant de planter ses dents à l’émail étincelant dans une pomme ridée.
    À cet instant, les trois garçons qui constituaient l’autre équipe se laissèrent couler dans le grenier.
    – Je vois que les absents ont tort dès qu’il s’agit de partager, s’écria le vidame en considérant la joue gonflée par la mastication de ses trois amis.
    – Mais je ne vous ai pas oubliés, protesta Diane.
    – Rôtie façon Solsac ! annonça pompeusement Gabriel de Saint-Austremoine en répartissant le fond de la musette.
    – Que faisiez-vous aplatis

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