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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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exaltation, j’en fais serment devant Hercule, je me comporterai avec vous chastement si vous acceptez que je passe cette nuit dans votre compagnie… Je demeurerai simplement, la tête versée sur votre épaule, vous tenant par la main, bercé toute la nuit par le tic-tac de votre cœur.
    Elle le considéra furtivement, esquissant un sourire qui avait tout du consentement mais se trouvant incapable d’animer les lèvres pour exprimer quelque chose.
    – Victor, demeurez ! ordonna le vidame en s’emparant à son tour du bras de la sœur de Brandelis pour l’aider à se tenir sur le marchepied.
    – Je réponds de son honnêteté, lui glissa-t-il, par son serment c’est ma foi et mon amitié qu’il engage.
    Lorsque les deux amoureux furent sur la chaussée, Jean-Hercule leur tendit le maigre bagage que la sœur de Brandelis avait apporté de Colombes.
    – Je passerai vous prendre à six heures, annonça-t-il avant de faire claquer sa portière.
    Clémire et Victor, restés quelques secondes à entendre mourir les cris de leur cocher pressé de finir sa journée, s’engagèrent sous la voûte que formaient les encorbellements d’une venelle tortueuse. Lorsqu’ils eurent dépassé un étroit carrefour, elle lui fit signe de pousser la porte d’un cabaret. C’était l’un de ces innombrables bouges transpirant la vinasse et le graillon où le gibier à prévôt pouvait, à la nuit tombée, happer quelques lambeaux d’oubli pour deux ou trois monnaies de cuivre. La lie des gens sans état se coulait là par affinité de gueuserie, invariablement revomie, passé minuit, sur la chaussée, livrée saoule à la trique des gens du guet et, pour sa partie la plus vigoureuse, à la drague implacable des sergents-recruteurs. Ce qui se débitait là n’était qu’épouvantable piquette, râpé de copeaux 232 , poiré au goût de lémon, bières qui empâtaient la bouche et, pour les nantis seulement, tripes bouillies ou mou vinaigré palpitant sur des lits de haricots noirs. Bien que cette cave ne reçût pas d’autre lueur que cette frétillarde jetée sur le comptoir par une mèche de filasse plongée dans un pot de graisse, les pauvres hères qui se bousculaient là ne paraissaient guère plus gênés qu’une horde de chats sauvages par une nuit sans lune.
    Victor demeura un moment pétrifié sur la première marche de l’escalier qui plongeait dans cet Enfer.
    – Est-ce bien ici ? s’enquit-il avec incrédulité.
    – Assurément, répliqua Clémire, mon frère est persuadé qu’il n’est pas dans Paris de refuge plus sûr. Mais, avancez !… Une surprise vous attend tout au fond.
    – Où ? demanda Victor qui ne discernait autour de lui que le brouillard produit par les bouffardes.
    Clémire le poussa sous la chaire du tenancier, personnage dont le regard, à force de se perdre dans la poix qui stagnait à hauteur de son perchoir, avait accroché quelque chose de la sérénité du Bouddha. Après avoir heurté un rideau poisseux de graisses refroidies, ils s’engagèrent dans un couloir resserré, puis gravirent un escalier en colimaçon qui menait à une porte basse percée d’un étroit judas.
    Un œil se mit à luire dans le minuscule rectangle d’un grillage et une femme, plutôt agréablement parfumée pour qui gardait au nez les pestilentielles odeurs du rez-de-chaussée, ouvrit précautionneusement. C’était madame Grandet, propriétaire de l’établissement. Elle s’occupait en personne de la branche la plus rentable de son commerce : quelques chambres de faux luxe réservée à de faux couples. Cette créature, fourrée jusqu’au cou dans l’affreuse Affaire des Poisons, disciple prouvée de la diabolique Voisin 233 , accusée tour à tour de tenir l’office de faiseuse d’anges, de marchande de poudres à succession ou de sorcière, n’avait dû son salut qu’à de retentissants aveux qui avaient permis à la justice d’expédier au bûcher dix pauvres hères moins compromis qu’elle. Depuis lors, depuis bientôt quinze ans, elle se tapissait dans la semi-clandestinité qui seyait à son fâcheux renom, protégée de haute main par quelques chefs argousins dont elle payait le silence du relief de ses charmes et, plus essentiellement, des rumeurs qui transpiraient du cabaret jusqu’à l’étage.
    – Mademoiselle de Grandville, fit la femme d’une voix rauque en considérant sans ménagement Victor par-dessus l’épaule de sa cliente, j’ai reçu votre lettre…
    Et après

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