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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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Elle l’écrit elle-même : c’est la dernière tempête avant la bonace… Dieu, après cela, aura envers vous comme une dette de félicité.
    Lorsque les deux jeunes gens furent sortis, l’oncle de Victor dit à sa femme :
    – Il me vient une crainte terrible… Prions, Agnès, prions pour que ce que je pressens ne prenne corps !
     
    Trois semaines passèrent, toutes cognées d’incertitude. Victor, avec l’exactitude du métronome, se rendait chaque matin, la mort dans l’âme, au Palais-Royal. Là, pour ne point sentir sa pensée s’égarer, il s’abîmait dans le naufrage de la besogne. Jean-Hercule, de son côté, voyait le printemps rapprocher le temps de soutenir sa sorbonique 242 et, en prévision de l’échéance, passait ses nuits à recorder sa théologie. Il ne s’octroyait un court répit que passé minuit lorsque, après avoir gratté précautionneusement à sa porte, il venait s’asseoir au chevet de son voisin d’étage qu’il savait toujours trouver éveillé par ses tourments.
    Un soir que Victor rêvassait sur le portrait que La Bruyère a tracé de l’égoïste Gnathon, Jean-Hercule s’inquiéta d’un messager venu de Versailles dans l’après-midi.
    – Alors ! que vous voulait cet homme qui vous cherchait tantôt ?
    – C’était de la part de mon oncle. Il me faisait dire de me trouver ici dès son retour… On a enfin obtenu des nouvelles de Clémire… Ah ! cher Hercule, je tremble de devoir prendre bientôt toute la mesure de mon infortune.
    – Pourquoi toujours envisager le pire ? protesta le jeune théologien.
    – Si les informations qu’on me rapportera demain avaient dû être bonnes, observa Victor, on n’aurait pas manqué de me le faire savoir afin de m’épargner une nouvelle nuit d’incertitude.
    – Voyons, renchérit le vidame, un message appris par cœur par un rustaud de laquais !… Votre oncle a préféré parler lui-même, voilà tout.
    – Vous cherchez à me rassurer, protesta Victor, mais au fond, malgré ce sans-souci avec lequel vous affectez de prendre toute chose, vous êtes tout aussi perplexe que moi.
    – Perplexe sans doute, pessimiste non !… Que vous arrive-t-il ? Vous venez de vous tirer de situations autrement périlleuses et jamais avant ce soir vous ne m’êtes apparu si désespéré.
    – C’est vrai ! je suis las de lutter pour obtenir des choses que les êtres les plus démunis possèdent nativement : l’amour, l’affection, la paix…
    – Privilège de l’aristocratie ! ironisa Jean-Hercule, l’honneur, la gloire, le sentiment, ont chez les gens nés, des méandres et des complications qui ne se trouvent pas dans les âmes communes. Il leur faut plus d’effort pour obtenir moins de profit. Voici la justice inversée que Dieu a voulu mettre en borne à la jouissance de ceux qu’il a décidé de distinguer ici-bas.
    – Dieu est bien cruel avec moi.
    – Il vous aime d’autant !
    Victor releva un regard qu’un effort de lecture de plusieurs heures, à la lueur d’une chandelle fumeuse, avait rendu vitreux. Il admirait chez le vidame cette foi conquérante et polie par l’École jésuite. Comme elle paraissait vive et rayonnante dans le moment où la sienne s’apprêtait à renoncer !
    – À cette heure, je ne puis me persuader que de deux choses : c’est qu’on empêche Clémire de se manifester librement et qu’elle n’a toujours pas renoncé à son amour pour moi.
     
    Le lendemain matin, au Palais-Royal, Victor retrouva les Thésut en furie.
    – Quelle famille ! hurlait le chevalier encore enturbanné du carré de batiste qu’il portait pour dormir, le père était enganymédé 243 , celui-là est encotillonné !… N’a-t-il pas commencé, dans cette maison même, en faisant à quatorze ans un enfant à la fille du portier ? Il ne sera jamais qu’un libertin et ses sens dévoyés étoufferont toujours chez lui les feux de l’intelligence.
    – Que se passe-t-il ? s’enquit notre héros lorsqu’il put approcher l’abbé.
    – Nous en avons de grises à propos de notre maître, soupira le plus jeune des deux célibataires, voici un mois qu’il laisse en plan tous les dossiers que nous lui passons, qu’il ne fait pas plus cas de nous que d’une livre de guignes… Voyez ces papiers qui n’ont besoin que d’une signature et qui attendent son bon vouloir !
    Joignant un geste véhément à ses paroles, il désigna trois chariots plats pourvus de petites roues de fer dont le fond paraissait fléchir

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