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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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jour que l’État conçoive cette agriculture moderne, l’expérimente et tienne la main à la faire appliquer.
    – Ah, non ! se récria vivement le chevalier qui se reprit aussitôt pour employer un ton plus en accord avec la douceur ambiante, si je puis me permettre, cher bailli, je vois dans ce que vous dites bien du danger pour les libertés de nos provinces. De Strasbourg au bec du Raz il ne saurait régner une loi.
    – Vous voici bien rétrograde, chevalier, s’exclama madame de Gargilesse ravie tout d’un coup, en se donnant la noble apparence de l’épouse qui vole au secours du foyer menacé, de prendre une revanche sur l’humiliation qui la tenaillait encore.
    C’était l’un de ses traits les plus constants que de ne jamais oublier les injures et d’exceller à en rendre tardivement la pièce.
    – C’est vrai que votre pensée sent son temps de saint Louis, appuya le maître de céans en secouant sa grosse tête, je ne vois pas d’autre moyen de bâtir le progrès que développer partout la puissance et les prérogatives de l’État. Les grands pays de demain seront forcément vastes et unifiés.
    – Voici tout ce qui nous sépare, reprit le chevalier en s’efforçant de sourire, pourtant ni vous ni moi n’aurons le cœur ce soir de vider cette querelle. Glissons donc et trinquons encore avec ce vin à la couleur de sang dont aucun tyran ou démocrate ne saurait altérer la saveur.
    Ils trinquèrent en effet en étendant leurs bras par-dessus la profusion des desserts ; le chevalier, avec la mine de celui qui tient déjà son bonheur, le bailli, tirant sur sa chaîne de montre avec le frémissement de narine de l’homme qui voit la réussite à portée de sa main.
    Celui-ci, au dernier coup de onze heures, malgré l’état d’excitation où le portait la perspective d’un combat facile, ne put dissimuler que le regret de partir l’assaillait :
    – Bienheureux vous êtes ! ce sont les doux accords d’une sonate qui vont vous conduire au sommeil quand je m’apprête à demeurer en selle toute la nuit.
    – Courir sous la lune, sans luth et sans pensées aimables, n’est pas un sort que j’envie, opina Carresse avant d’ajouter en s’efforçant à ne pas paraître sarcastique : faut-il vous souhaiter bonne chance ?
    – C’est inutile ! trancha l’autre en se rengorgeant, une bonne étoile m’a donné rendez-vous ce soir… Je ne lui ferai pas faux bond.
    Il claqua les talons de ses bottes cirées et disparut dans le trait de lumière que produisit après lui l’éclat de son harnachement.
    La porte à peine refermée, Maximilien offrit, en s’inclinant, un bras à son hôtesse afin de la mener dans la petite rotonde du fond du parc où devait avoir lieu le concert. Victor, demeuré seul derrière eux, les pommettes échauffées par l’excellence des vins, plutôt béat d’ailleurs de se trouver si vite à son aise dans cet univers neuf, sortit chercher la fraîcheur sur le balcon.
    Là, appuyé à la grille ventrue, il fixa longtemps le ciel constellé que galonnait le crêpe de la voie lactée. De l’endroit où il se tenait, il pouvait embrasser d’un même coup d’œil, dans les lointains du parc, les ombres des musiciens qui glissaient vers un pavillon hexagonal brillamment illuminé et, sous ses yeux, en contrebas, dans une salle ruisselante de l’éclat d’innombrables girandoles et lustres à pendeloques, le bailli flanqué d’officiers en habits à clinquants qui compulsaient des cartes étalées. Le chevalier et madame de Gargilesse, qui avaient emprunté la principale allée blottis l’un contre l’autre glissaient entre ces deux flaques de lumière ; lui, de sa main restée libre, tenait un violon nu dont le bois chatoyait à la lune ; elle, versait la tête sur son épaule pour cueillir de plus près des mots qu’on pouvait supposer aimables. Dès qu’ils eurent franchi le seuil du petit bâtiment, leur arrivée fut saluée d’un furieux ravalement de crincrins et l’on n’entendit plus ensuite que quelques trilles ou gargouillades qui vinrent, par instants, galoper sur la douceur du vent.
    Victor, que l’odeur des tilleuls avait achevé d’enivrer, fut brusquement tenaillé par l’envie enfantine de se tenir en équilibre sur le rebord maçonné du plus grand des bassins. Dans l’intention de gagner la terrasse, il dévala l’escalier, qui, bordé de ses deux rangs de candélabres à demi mouchés, lui apparut peuplé d’ombres

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