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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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peu trop à la vanité de l’accumulation. Le plantureux relevé des viandes s’ordonnait autour d’un couple de paons rôtis dont les cous affrontés dessinaient un cœur que transperçait une flèche de sucre doré ; il s’égrenait alentour en béatilles 42 , en rôts gourmandes de persil et en une véritable basse-cour de volailles à plumage minutieusement reconstitué qui nageaient sur des lits frémissants de cèpes et de girolles.
    Le chevalier et madame de Gargilesse s’étaient éloignés des tempêtes pour retrouver la bonace. Elle, tout sourire, ses cheveux sentant l’ambre aigrettes d’un plumet diapré, avait repris son inlassable pépiement. Le bailli, resté botté ainsi qu’un postillon attablé dans une auberge, tirait régulièrement sa montre de gousset pour en rapporter le mouvement à celui du régulateur placé dans l’angle du cabinet où l’on avait dressé le couvert. Il paraissait nerveux mais avec un fond d’enjouement plutôt stupéfiant pour qui, à l’instar de son plus jeune hôte, ne l’aurait connu que dans un de ses mouvements de fureur. Victor, brossé, étrillé, plus rose qu’un chérubin, avait passé un habit de drap grossier mais d’un beau ton grivelé que son oncle de Tressan avait étrenné, deux ans auparavant, pour se rendre à Paris. L’abondance du service à la française, l’éclairage du jour recréé par des dizaines de chandelles de cire et suif à l’éclat orangé qu’il voyait pour la première fois remplacer le flambeau de résine des pauvres, l’attention perpétuelle des valets en livrée plantés derrière sa chaise, le laissaient pantois. Il picorait avec appréhension, calquant ses gestes sur ceux de ces voisins, restant par-dessus tout attentif à n’être pas contraint de s’exprimer la bouche pleine.
    Madame de Gargilesse éperonnait la conversation avec ce piquant plein de liant que lui enviaient jusqu’à ses pires ennemies. Elle louvoyait superbement, sauçant ses paroles dans mille douceurs, évitant les sujets délicats tels que la révolte des Cévennes, la querelle janséniste ou l’imbroglio de la succession espagnole ; toutes manières propres à pousser la bile de son mari autant qu’à donner à moudre à l’impertinence du chevalier. Elle se rabattit donc avec un étonnant brio sur les derniers acquis… de l’agriculture. Le bailli se flattait d’aimer les techniques, lecteur d’Olivier de Serres, il correspondait avec Vauban qui, pour l’Académie des Sciences, lui avait demandé des mémoires sur la production des truies et les arrosements de rivières ; il avait sur le rendement des terres et le nourrissage des bestiaux des opinions raisonnées. Le chevalier, sans goût particulier pour les sciences, se défiant même par pur libéralisme du carcan de leurs lois exactes, moderne par idéal cependant, entra presque à fond dans ses vues. Ils en firent tant, Carresse avec d’incessants clins d’œil à l’endroit d’Anaïs, celle-ci multipliant les saillies, Victor faisant florès d’un entrelacs de questions naïves et de réponses pertinentes, monsieur de Gargilesse enfin vidant gaiement plusieurs verres de Saint-Pourçain, qu’un doux parfum d’extase flottait sur l’assistance au moment où vint s’effondrer au centre de la table, dans une vasque de vermeil, un rocher de croquembouches et de profiteroles vernies.
    – Ainsi vous êtes du Rouergue ! s’exclama le bailli à l’adresse de son jeune invité comme les serviteurs s’affairaient de tous côtés à contenir les débordements de cette avalanche de sucreries, je connais monsieur Le Gendre, votre intendant, il m’a récemment, chez lui à Montauban, vanté ce doux pays du safran et du fromage de brebis…
    – C’est aussi pêle-mêle, enchaîna Victor, celui des vaches jaunes, des fourmes de Laguiole, des châtaignes et des noix, des bastides opulentes et des pauvres ségalas. C’est une contrée rude qui se soutient sans faillir par le labeur d’habitants capables de pousser leurs affaires jusqu’au cœur de l’Espagne.
    – Vous en parlez justement, constata le mari d’Anaïs avec une pointe d’émotion bourrue, l’industrie des campagnes c’est la richesse de notre nation et ce pourrait être sa fortune si l’on connaissait mieux la compatibilité des sols avec les plantes, si l’on maîtrisait davantage les moyens d’amender les cultures, si l’on s’attachait vraiment à améliorer les races domestiques. Il faudra un

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