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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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l’Hôtel de Gargilesse, il avait pris place devant une petite table de bois de rose dont le dessus formait pupitre. Là, face à la blancheur de l’aube qui emplissait le parc, pieds nus et mollets à l’air, il écrivit pour sa famille une lettre qui commençait ainsi :

    Limoges, le 27 août 1702
    « Mon cher Père, mes chères sœurs,
    C’est en m’asseyant ce matin pour vous donner de mes nouvelles que je mesure la distance que ma course vient de mettre entre nous. Pour la première fois en effet votre Victor se trouve empêché de murmurer au creux de votre oreille les paroles affectueuses qu’il brûle de vous confier. Rassurez-vous, mon cher Père, votre fils va bien. Il est plein de courage et voit venir avec confiance les jours inhabituels que le Seigneur lui a réservés.
    Je suis à Limoges, tel un coq en pâte, dans le bel hôtel du bailli chargé de la police de cette province. De l’endroit où je vous écris je peux admirer la Vienne ; la vue de cette rivière paresseuse vers laquelle glissent les terrasses d’un jardin tapissé de lambris de verdure et de guillochis de buis, me rappelle par sa hauteur, quoique en moins sauvage et moins saisissant, notre vieux Gironde accroché au-dessus du Lot. Dois-je dire que l’obsédant souvenir de notre chère demeure me fait communier avec vous chaque fois que je lève les yeux ?
    Laissez-moi maintenant vous expliquer pourquoi je suis ici, car, me savoir chez un officier criminel a déjà dû vous faire sursauter… »
    Le récit de Victor narrait par le menu ses deux premières journées de chevauchée. Concluant sur sa rencontre avec Maximilien, il précisait :
    « … J’ai bien pensé, mon cher Père, à vos sages recommandations mais la méfiance, face à celui dont je vous parle, s’émousse à mesure qu’on l’observe. L’action audacieuse qu’il a su mener pour sauver cette fillette innocente a donné un juste poids à tout ce qu’il m’a dit ensuite pour tenter de dessiller ma candeur et prévenir le peu d’expérience que j’avais des nouveautés que je m’apprête à affronter. Ajoutez à cela qu’il connaît bien nos parents Davignon, qu’il les estime fort, et vous mesurerez la chance que j’ai d’avoir rencontré cet excellent compagnon.
    Nous ne sommes ici que pour confier notre petite rescapée aux bons soins de madame de Gargilesse. Ce matin, nous partons pour Bellac, où nous serons avant la nuit ; le chevalier se rend chez un certain monsieur de Rignac dont il doit vérifier les états de noblesse. J’ai accepté de faire ce détour avec lui, tant pour demeurer quelques heures encore en sa compagnie, que, par prudence, afin d’éviter les rebelles qui rendent la route dangereuse d’ici jusqu’à Châteauroux. Le bailli a eu hier deux soldats tués. Le chevalier me dit que les gens meurent de faim, qu’ils ont mangé leur blé en herbe ce printemps et n’ont plus rien pour se préparer à l’hiver. Cela pourtant n’empêche pas les gens des gabelles de se montrer intraitables et il est bruit d’un impôt sur la vie qui a mis la fureur à son comble.
    De Bellac, je filerai sur Paris par Tours où je prierai pour vous sur le tombeau de saint Martin.
    Soyez rassurés sur le sort de votre Victor, mon Père, Dieu l’a déjà pris sous sa garde et il reste attentif à tous vos bons conseils.
    Je vous embrasse ainsi que tous ceux dont nous partageons la sollicitude.
    Votre fils obéissant,
Votre frère affectueux. »

    Juste comme il finissait de verser la poudre destinée à sécher l’encre qui noircissait entièrement deux feuillets, il entendit hennir des chevaux qu’on sortait de l’écurie. Il plia prestement son billet pour le cacheter et, dans sa hâte, ne retrouvant pas le petit sceau de cornaline qu’il s’imagina enfoui au fond de sa sacoche, il se brûla le bout des doigts en écrasant la cire qu’il venait de faire fondre à la flamme d’un bougeoir.
    Après avoir rassemblé son bagage, il s’élança dans l’escalier, petit degré de forme elliptique qui s’ouvrait dans un renfoncement du mur. C’était un gouffre obscur dont les lucarnes, encore dépourvues de verres, restaient aveuglées par des carreaux de plâtre. Agrippé à la rampe tournante, sondant le vide de la pointe de son pied, il entama précautionneusement sa descente jusqu’à être guidé par le fin pinceau de lumière qui jaillissait, à l’étage inférieur, par la porte entrouverte d’un des arrière-cabinets de madame

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