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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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paire de grands bœufs de race limousine dont les cornes billardaient. C’étaient les seuls animaux à n’avoir pas péri sous l’effondrement de leur étable. Ils paraissaient étrangers à l’horreur qui régnait alentour et ruminaient placidement.
    Les deux pillards, voyant surgir une ombre, lâchèrent le meuble qui s’éventra aussitôt. Ils saisirent d’un même geste les haches qui pendaient à leur taille.
    – Quelqu’un ? cria l’un d’eux.
    – Moi, le marquis des Éperviers ! répondit le cavalier qui s’était campé effrontément en haut des marches. Que faites-vous, brigands ? Sont-ce là les ordres que je vous ai donnés ?
    Il appuya la pointe de son épée sur le ventre du plus grand des deux hommes qui, le premier, jeta sa hache. Puis, après les avoir désarmés tous deux, il les força à reculer vers l’entrée de la maison.
    À ce moment, un géant se profila dans l’encadrement de la porte. C’était Bonis, le chef de cette triste bande. Une balafre, laissant pendre affreusement deux lobes de chair, lui traversait une joue de part en part.
    – Qu’as-tu fait, misérable ? Qu’as-tu laissé se commettre ? s’écria le marquis dès qu’il eut vu surgir ce colosse.
    Il se rua sur lui, l’empoignant par le revers du buffle graisseux qu’il portait à même la peau.
    Cloué par la stupéfaction, le nouveau venu se laissa saisir sans broncher. Sa figure était à peu près vidée d’expression, son énorme carcasse entièrement relâchée.
    – Bonis, tu es plus vil qu’un porc ! reprit le marquis hors d’haleine.
    Ayant ainsi parlé, il fit sauter son épée en l’air, puis, de sa main gantée, rattrapa la lame nue qui s’arqua en scintillant sous le poids de la garde. Un éclair froid zébra l’espace et le quillon de l’arme, avec le sifflement d’un fouet, alla se planter profond dans la joue intacte de l’ogre. Ce dernier poussa un cri tandis que le sang ruisselait sur son ventre.
    – Pitié, maître ! pitié ! implora-t-il en tombant à genoux.
    Pour toute réponse, il reçut entre les jambes un coup de botte qui le fit se tordre.
    – Misérable ! reprit le marquis dans un halètement, je te conduisais au combat pour le pain et pour la liberté et tu fais de moi le chef d’une armée d’écorcheurs.
    Il bouscula les deux soudards qu’il avait croisés en premier contre trois escogriffes aux faces enluminées par l’ivresse qui venaient de surgir. Il les aligna contre un mur, leur dardant tour à tour le gras du ventre du piquant de son arme : c’était assez pour leur faire mal mais trop peu pour les blesser vraiment.
    Les six misérables, hébétés par la rage de leur maître, demeuraient incapables d’aucun mouvement.
    L’un de ceux qui avaient paru en dernier, les lèvres violacées de vin, les pieds ficelés dans des chiffons sales, voulut se disculper.
    – C’est Bonis qui nous a dit de tuer ! hasarda-t-il dans un hoquet.
    Ces paroles mirent le comble à la fureur du mystérieux marquis. Il tira de nouveau son épée et dessina la lettre V dans l’air avant d’entailler dans un geste les deux joues du délateur qui à son tour s’écroula.
    Les quatre misérables restés debout essayaient en tremblant de se constituer un rempart des loques humaines qui gisaient à leurs pieds. Ils s’écrasaient au mur comme s’ils avaient voulu y mouler leurs épaules.
    – Que dira-t-on demain, lorsqu’on saura vos crimes ? reprit le marquis du même ton haletant, les gens qui croient en nous nous abandonneront… Lâches ! monstres infâmes !
    Se rengorgeant à la fin parce que le mépris recouvrait peu à peu sa fureur, il rengaina son épée qui se referma avec le bruit sec d’un claquement de langue.
    – Je venais, au risque d’être pris, vous prévenir qu’on accourt ici en force. Nous sommes trahis… Peut-être par l’un de vous… Ah ! j’aurais sans doute été mieux inspiré en laissant la troupe vous gober mais la roue serait un trop doux supplice pour des gens de votre espèce. Vous vous expliquerez devant le Conseil, dans cinq jours au roc d’Ambayrès. Tâchez d’y être ou l’on saura vous trouver !
    Ayant lancé ces paroles, il cloua d’un dernier regard plein de haine ceux que sa colère venait de ravaler si bas et l’on entendit, couvrant les crépitements du feu, le galop heurté de son cheval qui détalait.
     
    Victor s’était levé dès cinq heures. Après avoir jeté un œil furtif dans la cour encore déserte de

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