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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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chevalier, supplia le baron en emmêlant ses doigts gonflés, vous ne devez pas souhaiter causer l’irréparable malheur d’une famille… Je vous conjure de ne rien me demander de plus.
    – J’y suis contraint, répliqua le chevalier, je dois pouvoir répondre lorsqu’on m’interrogera sur votre compte.
    – J’ai réfléchi pendant la nuit, balbutia le maître de Rignac d’une voix hachée, je vais me donner la mort… Vous sauverez l’honneur des miens ensuite, en disant que je me suis tué moi-même après avoir détruit dans un accès de folie ce qui établissait la qualité de ma naissance.
    Maximilien, à considérer jusqu’où le désespoir de son interlocuteur avait pu se porter, ne put cacher son trouble. Il se leva pour venir s’appuyer contre un angle de la table, une jambe ballante, l’autre calée à l’entretoise du fauteuil de son hôte.
    – Voyons, baron ! dit-il, personne ne saurait gober une telle fable. Ce serait d’ailleurs, par le bruit qui s’ensuivrait, le plus sûr moyen de réduire les vôtres au néant. Je suis persuadé que votre secret ne justifie pas l’extrémité dans laquelle vous vous jetez. À supposer même que vous eussiez usurpé votre gentilhommerie, vous êtes à mes yeux déjà largement absous par ne faire aucun usage de cet abus. Allons ! racontez-moi votre histoire sans crainte.
    Monsieur de Rignac, en entendant ces paroles dites d’un ton rassurant, avait achevé de s’affaisser ainsi qu’un Christ déposé de sa croix.
    – Ah ! chevalier, marmonna-t-il avec à peine un filet dans la voix, il faut que je sois bien las pour me résigner à conter mon catus 56 .
    Il se dressa soudain, la prunelle exorbitée et criant à tue-tête :
    – Attendez ! mon Dieu, attendez !
    Il se jeta en quelques surprenantes enjambées vers l’escalier et toujours s’époumonant :
    – Jacquin ! Arrête !
    La porte s’ouvrit d’une volée pour découvrir le vieux domestique du château chancelant contre le chambranle. Bien que cela pût paraître impossible pour qui venait de contempler le pitoyable état du baron, il était plus hâve et plus décomposé encore. Il soutenait en tremblant un carrelet dont il venait de reposer la pointe acérée sur le sol. L’ordre reçu, en faisant repasser un souffle au travers de ses narines blanchies, était arrivé à point pour l’empêcher de défaillir.
    – Voyez, geignit monsieur de Rignac, vous me jugez bien mal !… J’allais vous faire occire pour de bon.
    Le spectacle de ces vieillards apeurés qui, dans leurs tremblements, ne parvenaient pas à soutenir cette arme d’un autre âge, fit glisser l’amorce d’un sourire sur les lèvres du chevalier.
    Il se contint cependant pour contrefaire l’effroi :
    – Me faire tuer, et avec cet épieu qui suffirait pour tuer un éléphant !… Que cachez-vous qui puisse justifier un tel crime ?
    Jacquin, dès qu’il eut pu ressaisir son instrument de mort, se retira sur un signe de son maître. Celui-ci, revenu aussitôt à sa place, conserva pendant quelques secondes l’expression pleine d’égarement du naufragé qui, dans le plus fort du péril, diffère de plonger pour s’accrocher à quelque reste de mâture. Finalement, rasséréné par le regard franc dont il se sentait nappé, il parla derechef et d’une voix claire.
    – Je suis un imposteur, avoua-t-il, je vis ici depuis quarante ans sans avoir le droit de porter le nom et les armes de Rignac.
    – Je m’en doutais depuis que je suis entré dans cette maison, répondit le chevalier, vous venez de me dire l’essentiel. Contez-moi maintenant le détail !… Je vous ai promis de l’aide, vous verrez que ce n’est pas en vain.
    – Avez-vous déjà entendu parler du capitaine La Galoche ? demanda tout à trac le baron.
    – Je pense bien, s’exclama Carresse, c’était un fieffé drôle à ce qu’on m’a rapporté.
    – Eh bien ! chevalier, ce drôle, vous l’avez devant vous !
    – Là, je ne puis vous suivre… Tout le monde vous dira que cet homme est mort depuis quarante ans.
    – Et moi, je vous affirme que je suis le capitaine La Galoche ! répéta le vieil homme coléré. Vous aviez raison tout à l’heure de douter de ma noblesse. Faites-moi à présent la grâce de me considérer comme un brigand.
    Carresse, ahuri, scruta méticuleusement la face aplatie de son interlocuteur qui continuait de recouvrer peu à peu sa couleur de ponceau. Ce gros nez épaté, ces yeux éraillés tout ourlés

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