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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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d’écarlate, ces joues pendantes enfin, n’avaient décidément rien des traits qu’une âme imaginative eût dès l’abord prêté au trublion légendaire dont on venait de lancer le nom.
    – Vous vous moquez ! s’emporta le chevalier qui n’en démordait pas de se croire berné.
    – Nullement ! et, pour vous détromper, vous allez m’entendre.
    Le maître de Rignac se cala dans son fauteuil et entama son récit :
    – Il y a quarante-cinq ans de cela, la demeure dans laquelle nous nous trouvons n’était plus habitée que par une vieille femme triste et recluse, Adélaïde de La Capelle, dernière baronne de Rignac. Drôlement recommandée au prône 57 , elle avait vu fondre sur elle toute une série de malheurs qui pris un par un auraient suffi chacun à donner le goût de l’amertume au restant d’une vie : son mari avait été tué à la guerre, on lui avait ramené le cadavre de l’aîné de ses fils, un friand de la lame 58 , qui s’était fait embrocher dans un duel ; sa fille était morte en couches en donnant le jour à un bâtard qui ne l’avait survécue que quelques heures, enfin, elle ne savait même pas si son second garçon, un fou mystique que beaucoup pensaient enseveli au tréfonds d’un couvent, vivait encore. Elle demeurait ici, dans la seule compagnie d’une servante, priant Dieu dans son oratoire afin qu’il daignât sans attendre la rappeler près de lui… Vous ne pouvez vous figurer, vous qui n’étiez pas né, la violence des révoltes qui dans ce temps-là agitaient la plupart des provinces contre les exactions de Mazarin. En 1658, la fin de son règne honni approchait et la glace qui saisissait déjà ses doigts crochus, le faisait recroître de rapacité. Il avait dépêché un commissaire en Limousin, à la tête d’une armée de brutes, avec mission de tondre le pays. Il ne restait par ici pourtant plus grand-chose à voler mais ces gens en firent tant que le peuple, qui ne mangeait depuis longtemps que du gland et de la farine d’écorce, finit par se rebeller. J’avais dix-huit ans, j’en savais plus d’un, j’étais brave, rusé, agile comme un saltarin, ergo l’on fit de moi le chef de cette insurrection. Mon père, maître Thomas, était galochier : c’est de lui que me vint le surnom de capitaine La Galoche. Pendant deux étés, je tins assez glorieusement la campagne autour de Bellac. Avec l’aide de compagnons aussi résolus que moi j’empêchais les gens du cardinal de perpétrer la plupart de leurs forfaits ; je leur reprenais même parfois avec des roueries de Polichinelle ce dont ils parvenaient à s’emparer malgré notre vigilance. C’était, vous le supposez, sous le rire et l’applaudissement universel des habitants de par ici. Toutes ces actions nous rendaient populaires ; les pauvres laboureurs écrasés par les tailles partageaient leur bouillie pour que nous puissions manger ; les femmes soignaient nos plaies et priaient Dieu pour nous dans les églises… Or, il advint que parmi ceux qui me suivaient, sans que je l’aie flairé tout de suite, se glissèrent de vrais brigands… Une nuit, c’était pendant le triste automne de 1661, ils massacrèrent une famille de laboureurs qu’ils avaient supposés riches mais qui n’étaient en fait que de braves bougres laborieux et honnêtes. L’intendant du Limousin sut exploiter leur crime ; il était maître de l’opinion parce qu’il avait le pouvoir de faire circuler à sa guise les grains et les nouvelles. En quelques jours, il parvint à nous rendre odieux. Il mit nos têtes à prix et redoubla d’efforts pour nous surprendre. Ceux de nos compagnons qui avaient le goût de brigander poursuivirent leurs excès ; moi, privé de l’appui des populations, abandonné de mes plus honnêtes soutiens, obligé à la lin de me cacher, je ne pouvais rien tenter pour empêcher les crimes qu’on m’imputait… J’en viens maintenant à Rignac, vous allez voir comment. J’appris un jour que ces renégats devaient se transporter ici pour piller la vieille baronne et à coup sûr l’égorger. Un seul homme me suivait encore, le seul en qui j’eusse alors confiance, c’était Jacquin que vous avez vu tout à l’heure. Je m’abouche avec lui et nous décidons ensemble d’empêcher coûte que coûte cette nouvelle noirceur. Nous accourons ici. Madame de Rignac, effrayée, refuse de m’entendre ; pourtant j’arrache à sa servante la promesse de la tenir de force enfermée avec elle

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