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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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était garnie de coffres de mariage poussés le long des murs. Elle était égayée çà et là d’images coloriées de saints à figures épouvantables et possédait une cheminée aux piédroits magnifiques dont l’obscurité dévorait à peu près tout le manteau sculpté.
    La famille de monsieur de Rignac se tenait là, resserrée dans le contre-jour d’une vaste archière. Il fallut un moment à Victor et au chevalier pour distinguer la femme de leur hôte qui filait la laine, carrée sur une raide cathèdre. Sa robe de demi-satin sombre gommait tout le dessin de ses épaules et il n’était que le bas de sa grosse figure, comprimée par une guimpe à mentonnière de l’ancien siècle, pour former un point clair dans toute sa silhouette. À ses pieds, installées sur des chancelières, se tenaient ses deux filles qui devaient avoir quatorze et dix-sept ans. Leurs joues de nacre, leurs bras blancs qu’effleurait la lumière filtrant dans leur dos, évoquaient la fraîcheur de deux lis miraculeusement éclos au fond d’un tombeau. Voir surgir ces deux perles dans cet antre sans joie, c’était déjà presque les aimer.
    À leur vue, les nouveaux venus faillirent laisser sacs et écritoires leur couler des doigts. Madame de Rignac, après avoir marqué un temps d’hésitation, continua de faire aller son rouet, et ses filles, désespérées de n’avoir rien sur quoi fixer leur trouble, finirent par enfouir leur visage dans les plis de sa robe.
    Maximilien désira couper court, le premier, à la gêne de ces gens navrés d’étaler ainsi leur tristesse. Il demanda en grâce à pouvoir gagner son logis.
    – Quelle étrange famille ! confia-t-il à son compagnon lorsqu’ils furent seuls, croyez-moi ! je flaire ici de l’inédit.
    – À quoi pensez-vous ?
    – Monsieur de Rignac me fait l’effet d’être bonhomme, pourtant je tiens pour assuré qu’il nous cache quelque chose…
    Il se tut, interrompu par l’arrivée de Jacquin reparu pour les accompagner, toujours plus haut, dans les deux pauvres chambres qu’on leur destinait sous les toits.
     
    Le chevalier, sitôt son bagage posé, était allé s’enfermer dans le cabinet de la tour afin d’entamer ses travaux. Il s’y trouvait encore, comme le jour commençait à décliner, installé derrière des monceaux de feuillets jetés bas des étagères, lorsqu’il reconnut dans l’escalier le pas syncopé de son hôte.
    Ce dernier, venu prendre place en bout de table, montrait une figure préoccupée et surtout considérablement vieillie pour avoir ôté sa perruque et s’être enveloppé le crâne d’un turban de drap rêche. Ce couvre-chef improvisé découvrait son front labouré en son centre de sillons concentriques tandis que ses tempes, ridées elles aussi mais en étoile, rayonnaient de part et d’autre ainsi que des fêlures de vitres.
    – Alors, chevalier ! de quelle imposture allez-vous m’accuser ? demanda-t-il d’un ton voulu cavalier mais que soutenait mal une voix hésitante.
    – Je viens de lire beaucoup de choses édifiantes sur votre famille, répondit Maximilien en repliant ses lunettes, mais toutes fort anciennes puisque je n’ai rien trouvé dans tous ces documents qui soit postérieur au règne de notre bon roi Louis XII.
    – C’est exact, opina monsieur de Rignac, mon père a perdu la plupart de ses titres en 1643, au cours des révoltes qui ont ensanglanté ce pays. Seules les pièces les plus anciennes, qui avaient été mises en sûreté, ont pu être sauvées.
    – Cela est fort plausible, reprit Carresse, mais je suis encore plus surpris de ne rien lire vous concernant.
    – Eh ! que voulez-vous que l’on trouvât à mon propos ?
    – Vous avez combattu dans l’armée de Turenne… Vous avez convolé, vous avez eu des enfants… De tout ceci, je ne trouve aucune trace.
    – Certes, certes, répliqua le bonhomme en pâlissant, j’ai pris ma première femme en Picardie mais, pendant que je la ramenais ici, tout ce que j’avais de papiers s’est trouvé dérobé avec ma cassette dans une auberge. Quant à mes filles, elles sont nées toutes deux sans secours de notaire – je ne suis pas assez fortuné pour me payer ces fantaisies de duc – j’ai fait comme font les paysans d’ici et vous trouverez tout simplement mention de leur baptême dans les registres paroissiaux.
    – Ne vous est-il jamais venu à l’idée de faire dresser quelque expédition ou copie des actes que vous aviez perdus ? insista le

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