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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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amolli par les soins attentifs dont j’avais été l’objet, craignant d’affronter un monde où je n’avais déjà plus d’existence, je ne trouvai pas la force de repartir et je demeurai ici pour mon plus grand malheur…
    – Mais que dirent les gens alentour, lorsqu’ils surent le retour de ce prétendu moine ? s’enquit le chevalier.
    – La baronne n’avait plus de famille. Quant aux paysans, comme tous les paysans, ils croyaient ce que disait leur châtelaine. Personne d’ailleurs ne se souvenait plus de ce dernier rejeton des Rignac et je tenais facilement son rôle en lui prêtant une écorce de rusticité qui finit par le rendre populaire. Je me montrai peu à peu aux fermiers, participant avec eux aux travaux des champs mais n’allant jamais dans les bourgs et encore moins aux foires où j’aurais risqué d’être reconnu. Je menai pendant plusieurs mois, à l’ombre du château, l’existence d’un hobereau contraint, comme beaucoup d’autres pour survivre, de prêter la main à ses gens… Je ne vis d’ailleurs pas différemment aujourd’hui… Vous allez constater maintenant que cette vieille pie de baronne était rien moins qu’abusée sur mon compte. D’abord, c’était une curieuse mère, elle m’évitait avec une obstination marquée et ne correspondait avec moi que par de petits billets griffonnés qu’elle me faisait porter par sa servante. Lorsque je fus tout à fait d’aplomb et capable de refaire des moulinets à l’aide de mon bras blessé, elle m’obligea, avec la recommandation d’un sien lointain parent, colonel au Royal-Picardie, à partir pour l’armée.
    – C’est donc là que vous avez servi dans les corps de Turenne ? s’enquit le chevalier en interrompant le récit du faux baron, mais un homme tel que vous, sous un tel capitaine, aurait dû faire fortune !
    – J’en fus bien incapable, répliqua monsieur de Rignac, il se trouvait alors en Flandres nombre de soldats qui avaient combattu contre les insurgés du Limousin et je tremblais à toute heure que l’un d’eux ne me confondît. Mais, par-dessus tout, ces officiers, tous des gentilshommes, avaient des idées, des façons, des préoccupations auxquelles je ne me faisais pas. Je fuyais leur cercle et me forgeai très vite la réputation d’un misanthrope. À vingt-cinq ans, j’atteignis péniblement au grade de capitaine en pied et, rappelé à point par une lettre de la baronne, je quittai avec soulagement cette carrière qui, dans d’autres circonstances, m’eût sans doute procuré la renommée. Je revenais ici pour constater le décès de madame de Rignac. Ainsi qu’elle me l’avait promis, elle avait tout arrangé pour que je devienne le maître après elle… Avant de mourir, pourtant, elle avait rédigé une lettre à mon intention que je porte toujours depuis pendue à mon cou. Je vous demande de la lire car elle constitue la seule justification de ce que je viens de vous narrer.
    Celui que nous devons désormais nommer indistinctement baron de Rignac ou capitaine La Galoche, tira de sous sa chemise un petit rouleau d’acier à la limure parfaite qu’il dévissa. Il tendit au chevalier un papier couvert sur ses deux faces de l’écriture minuscule et hachurée de la dernière des Rignac.
    Voici quel en était le texte :
     
    « Monsieur,
    Avant de quitter cette terre je me dois de vous fournir quelques explications sur la conduite que j’ai tenue envers vous jusqu’à présent. Sachez-le, ce n’est pas parce que vous avez cru devoir préserver ma misérable existence de la dague des assassins que je vous ai choisi comme légataire des biens de notre lignée. Vous auriez sans doute été plus inspiré de ne pas prendre sur vous de modifier le cours de la destinée.
    Votre sang-froid seul m’intéresse. Je désire vous charger de la chose qui, dans ces derniers instants de ma vie, me tient le plus à cœur : il s’agit d’une question d’honneur. Je me dis qu’un homme tel que vous n’est peut-être pas insensible à ces sortes de sentiment… Vous le savez, mon fils aîné, Gontran, a été tué par un Gascon, le chevalier Balthazar de Rognonasse, dans un duel qui ne s’est pas déroulé dans les règles. Pour seul prix des biens que je vous abandonne, je vous demande de retrouver cet homme, de le provoquer et de lui faire payer son crime. Ce ne doit pas être chose impossible pour qui, dans le souffle d’un Ave , est venu à bout de douze misérables. Vous aurez un an, à

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