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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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dans un réduit fortifié, tout en haut du château, dont elle vient de me dévoiler l’existence… La nuit commence à tomber sur les Monts de Blond – chaque soir, lorsque le soleil se dissout au droit de Mortemart, je ne puis me retenir de frémir en songeant à ces moments terribles. Nous nous sommes postés dans l’escalier, un peu au-dessus du premier étage, nous y restons sans mot dire pendant plus d’une heure… Soudain, d’étranges sifflements se répondent pour venir à la fin décupler les hululements qui montent des forêts. Par le fil d’une meurtrière, nous voyons se profiler une dizaine d’ombres qui se glissent dans la cour en faisant vaciller des dagues dont les lames nues étincellent à la lune. Jacquin et moi n’avons qu’une épée chacun et, posée sur une marche entre nous pour nous la partager, une courte miséricorde 59 . Les hommes sont déjà au pied de la tour. Leurs manteaux relevés par de longues rapières, ils montent avec des halètements de loups. Lorsque je vois briller le regard du premier d’entre eux, je recommande mon âme à Dieu, j’étends mon bras et je le transperce d’un coup. Celui qui suit n’a pas le temps de réaliser ce qui se passe, qu’il est embroché à son tour ; un troisième vient s’affaler sur le corps de ses complices et nous avançons ainsi, enjambant les cadavres, pour descendre frapper ceux qui continuent d’arriver. Nous tuons de la sorte onze de ces misérables. Seul le dernier, qui s’est douté de quelque chose, tente de marchander sa vie. D’un coup d’espadon, brisant l’os, il me traverse l’avant-bras mais, en un éclair, Jacquin, dont je sens le souffle sur mon cou, lui passe son épée au travers de l’aisselle et me sauve. Les torches que nous approchons alors nous font découvrir un spectacle d’horreur ; l’escalier ruisselle de guenilles sanglantes. J’échange, à grand-peine à cause de ma blessure, mes vêtements et un baudrier marqué à mon nom avec les hardes d’un de ces misérables… C’est par cette ruse grossière que je fis croire au trépas du capitaine La Galoche.
    – Quelle histoire ! murmura Carresse qui avait écouté de toutes ses oreilles, et comment diantre, ensuite, êtes-vous devenu le maître de Rignac ?
    – J’y viens, chevalier, j’y viens, fit le vieil homme en reprenant son souffle, je m’étais enfui dans la forêt avec Jacquin mais ma blessure qui s’infectait m’empêcha d’aller bien loin. Nous construisîmes une cabane sous un chêne, je m’y jetai sur un lit de feuilles avec la certitude de bientôt mourir. Je délirai trois jours mais les mauvaises graines ont la gaine solide et lorsque je me réveillai, par une nuit douce et constellée, je reconnus la servante de madame de Rignac penchée sur ma couche, affairée à panser mon mal. Je ne vous ai pas encore dit que j’avais connu cette femme avant les événements que je viens de vous narrer : son fils avait été l’un de mes premiers compagnons et il était mort dans mes bras d’un mauvais coup reçu dans une embuscade. Elle avait su par moi sa fin et ses dernières paroles. Elle me vouait pour cela une sorte de reconnaissance ; c’est ce qui l’avait poussée à me rejoindre dans la forêt, me soigner et m’annoncer la chose la plus extravagante du monde : madame de Rignac s’était mis en tête que celui qui l’avait gardée des tueurs accourus pour envahir son château ne pouvait être que le second de ses garçons, le moine disparu, revenu tout exprès la protéger. Je pensais d’abord que la bonne femme s’était trouvée choquée par les émotions qu’elle venait d’endurer mais vous verrez tout à l’heure qu’elle n’était pas si sénile que je l’imaginais. Je retournai donc de nuit à Rignac où, à ma grande surprise, lorsque je parus devant elle, la vieille baronne s’obstina à me reconnaître pour son fils. Elle se mit à gémir que sans moi elle serait la victime d’autres assassins dont les hallucinations de ses heures d’extase lui désignaient déjà les ombres. Elle en fit tant, j’étais encore si faible et si alléché par l’idée de trouver la paix d’un refuge, que j’acceptai pour quelques jours son hospitalité… Las ! je n’avais plus de nom ni d’état ; l’intendant avec une incroyable légèreté avait colporté la nouvelle de ma mort : la politique et son avancement devaient se satisfaire de certitudes fragiles. Lorsque mon bras fut à peu près guéri,

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