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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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pense, nos assaillants sont les révoltés du Limousin, ils nous voleront et puis nous serons quittes.
    – Vous en parlez à votre aise, vous qui n’avez pas un écu !
    – Si j’étais riche et si je devais être attaqué, je préférerais me retrouver nu mais vivant plutôt que laissé mort en pâture aux corbeaux.
    Celui à qui s’adressait cette phrase, lancée sur un ton d’impatience, retomba assis avec un air d’accablement.
    – Ma foi, vous êtes sage et je suis un vieux fou !… Je n’accepte pas plus d’être volé que tué parce que j’ai pour manie d’exiger tout à la fois de la fortune… Voici l’orgueil qui finira par me jouer de méchants tours ou me porter aux premières places.
    – Et puis, croyez-vous que des gens affamés et démunis de souliers iraient s’encombrer de vos harnais ? appuya Victor. Tout au plus prendront-ils vos chevaux pour les manger…
    – Fi ! ces drôles mangent du cheval ?
    – Le dénuement efface bien des dégoûts.
    – Grand bien leur fasse ! J’avale bien, moi, chaque jour, un peu du corps du Christ sans que jamais personne dans ce pays ait osé prétendre que j’avais l’humeur cannibale.
    Il fit une pause, ponctuée d’un soupir qui n’était gros que de cynisme, avant d’ajouter :
    – Et pourtant je ne me chargerais pas, sans un bon fusil, d’aller expliquer l’Eucharistie aux Hurons…
    Ces audaces de mécréant exprimées avec enjouement, ce singulier personnage se recomposa en trois secondes un masque plein de gravité.
    Il se rapprocha de son jeune hôte pour lui glisser à l’oreille des paroles pleines de hachures :
    – Dans la passe où nous sommes, je dois vous confier un important secret. Sans vous en douter vous êtes assis sur une poudrière… Il y a, sous cette banquette, un coffre renfermant des dépêches qui ne doivent à aucun prix tomber dans des mains étrangères. Il y va de la paix en Europe, de la vie de milliers d’innocents… Si vous m’aidez à sauver ce précieux dépôt, ceux qui m’emploient sauront vous récompenser au-delà de vos plus folles espérances.
    Victor, que son interlocuteur venait d’agripper par les revers de son justaucorps, demeurait pantois. Ce curé de la Commedia dell’arte , tour à tour menaçant ou sarcastique, gesticulant ou effondré, qui en appelait maintenant à la raison d’État, lui paraissait perdre le sens un peu plus à chaque détour de phrase. Il se souvint au même instant des conseils de défiance que lui avait prodigués son père et des façons mordantes qu’avait le chevalier de demander leur fait à ceux qui bousculaient l’ordre de ses heures.
    – Quel est votre maître ?… Quelles sont ces affaires ? demanda-t-il les sourcils froncés et la voix à dessein cassante.
    – Je vous le dirai dès que nous serons sortis de cette forêt ! répliqua l’abbé en s’essayant à jouer au plus fin.
    – Non ! je dois tout savoir maintenant, trancha Victor qui prit soin de détacher chaque mot, je n’ai pas l’intention d’exposer ma vie pour quelques épluchures, voire d’inavouables intrigues.
    – Êtes-vous esprité malgré votre air candide ! s’exclama le prêtre admiratif… Fort bien ! Puisque vous y tenez, mon maître est le duc…
    Il fut empêché de poursuivre car la vitre de la portière, en volant en éclats, arrêta ses paroles au fond de sa gorge.
    Il porta la main à son front et gémit aussitôt d’un ton de femmelette :
    – Du sang ! me voilà tué !
    Un cri déferla, qui submergea ces faibles plaintes et fit trembler les trois voyageurs d’effroi. Des lumières surgies du néant virevoltèrent autour de la voiture et Victor, qui venait d’entrouvrir la portière, se vit cerné par toute une armée d’ombres.
    Un gaillard enveloppé dans une cape et qui puait le vieux bouc à dix pas, pointait sur lui un mousquet dont la gueule étincelait à l’éclat des falots que brandissaient alentour des formes encapuchonnées.
    – Descendez en vitesse ! hurla cet homme en s’adressant à la carrossée dans un français hérissé de roulements terribles, les mains derrière la tête ! toi, jeune braque ; la fille et le curé aussi !
    Les visages des assaillants, dissimulés sous de grands fanchons sombres, se dissolvaient dans la nuit. On ne distinguait que leurs yeux qui s’accrochaient, tels des lumignons, à la bourre du crépuscule. Posté seul en avant, le géant qui venait de donner des ordres arborait un chapeau à larges bords dont un pli

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