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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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pour responsable de mon équipage.
    L’autre, s’estimant sans doute déjà bien patient d’avoir écouté si longtemps sans cogner, poussa rudement le protestataire devant lui :
    – Curé ! ton équipage sera au camp avant le jour… Avance et cesse de nous noyer de paroles !
    Collé derrière Victor, flanqué de deux gaillards qui, par le martèlement de leurs galoches, le forçaient à aller à l’unisson de leur pas allègre, fort peu rassuré au fond, en dépit de ses accès de morgue, l’abbé se retourna tant qu’il put pour surveiller sa voiture. Abandonnait-il là d’aussi terribles secrets qu’il l’avait bien voulu laisser croire ?
    En tête de cortège, allante depuis qu’elle était délivrée du fardeau de ses deux cavaliers, filait la jument de Victor qu’un garçon aux mollets nus guidait par les rênes. Le capitaine, qui poussait tout ce monde à grandes enjambées, prit vite pitié de la petite muette qu’il voyait sauter pieds nus et à cloche-pied entre les silex. Il la remit lui-même en selle et ses hommes, qui ne s’étaient manifestés jusque-là que par le cri affreux qu’ils avaient lancé en surgissant de l’ombre, partirent dans l’instant en chœur d’un énorme et rassurant éclat de rire.
    Ils quittèrent rapidement les chemins tracés pour emprunter des sentiers pleins d’eau qui sinuaient parmi des chapelets d’étangs dont on voyait à l’infini briller les faces lustrées et planes. L’abbé franchissait chaque flaque avec des grâces de diablesse. Il joignait les mains à hauteur de sa bouche en geignant mollement et Victor, qui avait ralenti son pas pour lui venir en aide, découvrit stupéfait que ce geste qu’il pensait appliqué à quelque vive oraison, n’était fait que pour ponctuer des bordées de jurons.
    Par une digue, ils atteignirent une caverne dont l’entrée était bordée de deux dolmens. Là, attendaient une dizaine d’hommes auxquels ceux qui montaient firent un signal en produisant le cri du hibou.
    Un gamin juché, Dieu sait comment, au faîte d’une de ces deux pierres levées, dégringola d’un bond pour venir à leur rencontre.
    – Diablezot ! capitaine, cria-t-il en patois limousin, que nous ramènes-tu là ?
    Des lanternes éclairèrent sa face d’écureuil couronnée d’une houpette. Il portait une veste en peau de mouton qui, dans l’obscurité, lui faisait le torse démesuré d’un nain.
    – Ce sont de drôles de pèlerins, Jannot, lui répondit celui qu’il venait d’apostropher, mais le marquis saura se charger d’eux.
    – On leur z’y coupera le gavion, poursuivit le gamin en faisant mine de se trancher la gorge avec le plat de la main.
    Il vint se planter devant Victor auquel il décocha un pied-de-nez magistral. Celui-ci n’y prêta guère d’attention. Le nom de marquis l’avait troublé : il ne doutait plus désormais de se retrouver bientôt face au mystérieux personnage entrevu l’avant-veille à Rignac.
    Ils pénétrèrent dans la caverne mais ce fut pour redécouvrir aussitôt le ciel. Cette ouverture n’était en effet qu’une arche imposante commandant le passage d’une gorge encaissée qui serpentait jusqu’à la lisière d’un bois épais. Celui-ci enserrait une clairière insoupçonnable dans laquelle se consumaient quatre ou cinq brasiers qui léchaient les étoiles. Cette vaste étendue, étranglée par la plainte des arbres et des lianes, était peuplée de femmes et d’enfants qui s’égayaient parmi tous ces grands incendies. C’était la foire d’un gros bourg transportée dans la nuit, avec le hourvari de ses bêtes placides et de sa foule bourdonnante ; grouillement d’ombres tressautantes et de formes en dissolution que magnifiait, en l’étirant à l’infini, le clignotement continu du ciel noir. Trois porcs à la couenne laquée, embrochés sur le même tronc fléchissant d’un ormeau, déversaient une pluie d’or sur un épais tapis de braise où s’étaient engloutis des pans entiers de forêt. Des mères de famille, aux grands tabliers noirs, arrosaient et piquaient ces viandes pleines d’odeur avec des fourgons plus hauts qu’elles. Des bambins bougillons et moitié nus s’ébattaient dans leur dos en agitant des tisons rougis tandis que des garnements plus âgés, armés d’équifles 65 de bois tendre, projetaient des giclées d’eau pour s’essayer à rabattre les plus hautes flammes. Toutes ces formes se livraient à un ballet que n’auraient pas boudé

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