Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
Vom Netzwerk:
mousseuses étaient maintenues en chignon par un peigne d’ivoire figurant un lévrier courant :
    – Victor de Gironde ! s’écria-t-elle en feignant une charmante surprise.
    Elle lui prit les deux mains, et déposa un baiser sur chacune de ses joues picotantes de barbe légère.
    – Vous venez visiter la captive, murmura-t-elle en appuyant un doux regard, suivez-moi ! je tiens à vous faire moi-même les derniers honneurs de ce labyrinthe.
    Emmenant avec eux la petite muette, qui, par un reste d’incrédulité, se tenait éloignée tant qu’elle pouvait du spectre resurgi de son ancienne protectrice, ils gravirent un long degré qui débouchait dans une salle haute et étroite percée d’un oculus lézardé de lianes. Le vent qui s’engouffrait par ce trou, braqué sur le firmament à la manière de la lunette d’un astrologue, gonflait les courtines d’un lit imprévisiblement posé là et faisait courir des flammes au pourtour d’une vasque de bronze pleine de poix embrasée. Un paravent blanc, quelques malles bombées, une table d’écaille encombrée de drageoirs et de fioles, achevaient de donner à cet endroit, si éloigné des luxes lambrissés, la vague allure de déballage oriental du recoin d’un jardin de Megara au soir d’une fête fameuse.
    La Vénus du Limousin, parvenue chez elle, prit place sur un banc où foisonnaient des toisons épaisses et magnifiquement bouclées. À la voir ainsi, superbe et troublante, Victor, dans la mémoire duquel le décor de l’ancienne mine ravivait l’attirail de la savanterie, imagina quelques secondes surprendre une reine africaine aux armées défaites qui déploierait l’ultime ressource de ses voluptés pour égarer le Romain qui venait de la vaincre.
    – Je n’ai songé à vous remercier de votre bavoure qu’après avoir quitté Rignac, dit-elle.
    – Bravoure inefficace, protestat-il, mais convenons ensemble, puisque je sais tout maintenant, qu’il eût été bien malheureux qu’elle le fût.
    – Vous devez me trouver extravagante, fit-elle en conservant un ton de grand sérieux.
    – J’avoue, madame, que sitôt après vous avoir connue dans le luxe et l’opulence, je saisis difficilement ce qui pousse une personne de votre rang à se dévouer pour une cause qui semble à cent lieues de ses préoccupations.
    – Eh, quoi ! se récria Anaïs en composant une moue grondeuse, êtes-vous mon ami pour m’affubler si vite d’un cœur de granit… Passe ! vous n’êtes pas le premier à vous tromper sur le personnage que je fais… Je constitue en effet une rareté dans mon monde. Issue du sabot 68 , je suis née cadette d’une famille de laboureurs qui éprouva toutes les peines du monde à me faire survivre au milieu de dix autres marmots. L’attrait qu’a éprouvé pour moi, lorsque j’eus quinze ans, mon cousin éloigné, monsieur de Gargilesse, petit-fils d’un régisseur qui avait fait fortune dans le séquestre des biens protestants, est venu à point pour me tirer d’une médiocrité dont mon caractère altier avait fini par me donner l’horreur… J’ai vécu les premières années de mon mariage, le nez tourné à la friandise, oublieuse et méprisante. Je n’ai reporté mon regard sur le passé que lorsque le malheur, avec la mort coup sur coup des deux enfants que j’avais mis au monde, est venu briser net tous ces pauvres flonflons. Je suis revenue embrasser mes frères et mes sœurs et, près de ces étangs des Grandes Fourdines où j’avais passé mon enfance, j’ai senti à nouveau l’insupportable étranglement de la détresse… Le chevalier, mon ami depuis que je vis à Limoges, chevauchait à cette époque, pour remplir son office, au travers des mêmes contrées. Il contemplait, d’un œil aussi navré que le mien, la désolation de toutes ces campagnes où les travaux, faute de matière, ne rythment plus les jours. Tous deux nous décidâmes d’entreprendre quelque action qui fût propre à redonner courage aux gens désespérés et qui se portât plus loin que la simple distribution d’aumônes. La fougue de Maximilien de Carresse, le vieux relent des récits de chevalerie qui m’avaient enfumé l’esprit pendant mes longues heures oisives, l’exemple de ce qui se commettait un peu partout dans d’autres provinces, nous firent songer à harceler ceux qui se rendaient complices des exactions des fermiers généraux. Les plus hardis des habitants de la contrée vinrent sans délai constituer la

Weitere Kostenlose Bücher