Le marquis des Éperviers
s’emporta Carresse, je me charge de lui faire réciter la fin de ce beau rosaire.
Il repassa son masque et commanda qu’on fît venir le prisonnier.
Celui-ci entra presque aussitôt, marchant d’un pas lent, les lèvres pincées. C’était à peu près Tartuffe lorsqu’il paraît en scène.
– Asseyez-vous ! lui enjoignit Maximilien en désignant un tabouret.
Le nouveau venu, différant d’obéir, alla se placer dans l’axe du regard du chef des rebelles.
– Ainsi, c’est vous le marquis des Éperviers ! fit-il avec superbe.
Carresse voulut protester.
– C’est un comble !… Vous osez…
– Patience, marquis ! reprit le singulier prêtre nullement décontenancé par les étincelles qui traversaient le masque de son geôlier, vous vous radoucirez tout à l’heure, mais d’abord laissez-moi me repaître de la vue d’un homme dont la tête est mise à prix.
Il tourna avec des façons de maquignon autour du chevalier visiblement médusé par son audace.
– Vous allez apprendre à me connaître, lança-t-il en décrivant un dernier cercle. Nous sommes faits au même moule. J’ai du goût, tout comme vous, pour la farce…
– Allez-vous cesser ce flux d’effronteries ? tonna enfin Maximilien… Je vous aurai prévenu : ceux qui font les arlequins sont souvent des gens sinistres lorsqu’ils quittent leurs atours de scène.
– Ah ! pas vous, marquis ! pas vous, protesta l’abbé dans un soupir faussement crève-cœur, vous avez bien trop d’esprit pour n’être pas du côté des rieurs. Maintenant, écoutez-moi ! je promets d’être bref. Je suis depuis qu’il était enfant, le serviteur – je devrais dire le confident – d’un important personnage qui m’emploie à toutes sortes de causes. Ce prince plein de lumières, qui a su, dès son jeune âge, se montrer sensible au dénuement et aux misères, pourrait vous venir en aide si je le lui demandais. Je pense que vous ne refuseriez pas car j’ai pu mesurer en arrivant ici l’état peu florissant de vos affaires…
– Comment pouvez-vous parler ainsi, s’emporta le chevalier, n’avez-vous pas vu tout au contraire cette armée nombreuse…
– Une armée sans armes ! trancha l’abbé, je n’ai pas compté vingt barbons qui portassent une épée ; vos mousquets ne dépassent pas le nombre de ma main. Ce qui vient en plus n’est que fourches, piques et bâtons.
– Vous me proposez donc votre aide ? reprit le marquis que les dernières paroles de son interlocuteur avaient achevé de hérisser.
– Je vous promets seulement de parler à mon maître.
– Et qui est-il, ce maître ? s’impatienta Maximilien.
– Je vais vous le dire puisque tel semble être le prix de ma liberté. C’est cependant à condition que ce secret reste entre nous car il s’agit d’un nom trop fameux pour qu’on le sème à tous vents.
Ayant parlé ainsi, il se tourna vers Victor :
– Ce courageux jeune homme a failli l’apprendre tout à l’heure, mais l’attaque de vos gens m’a empêché de finir ma phrase… C’est mieux pour lui car, en continuant d’ignorer ce qui ne lui est plus d’aucune utilité, il s’évitera bien des ennuis.
– Au fait ! pesta Carresse.
– Connaissez-vous les armoiries ? demanda imprévisiblement l’abbé.
– Je m’y intéresse ! répliqua Maximilien qui avait toujours craint que son état d’héraldiste le fît un jour reconnaître.
L’abbé ôta son gant de fine peau grise à la senteur de benjoin. Il fit tourner autour de son index une bague en or dont il approcha le chaton du visage masqué de son hôte.
– Vous trouverez ceci sur toutes les housses de mon carrosse ! annonça-t-il avec orgueil.
Carresse eut un long mouvement de recul tandis que le prêtre, qui ne se contenait plus de faire l’important, prenait place enfin sur son tabouret, croisant les jambes, s’apprêtant à traiter de puissance à puissance avec le chef des rebelles du Limousin.
– Monsieur de Gironde, murmura le chevalier d’une voix bredouilleuse, attendez-nous dehors !
S’éloignant le cœur léger bien qu’il fût, pour la seconde fois en quelques minutes, privé de la révélation d’un important mystère, Victor retrouva au-dehors Anaïs, accroupie près de la petite muette restée tout effrayée de l’avoir vue reparaître. La Vénus du Limousin était parée de blanc, avec une capote à boutons de nacre, pourvue de manches à l’amadis 67 . Un râtelier de perles ornait son cou et ses nattes
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