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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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pas aux autres ce que je ne voudrais pas qu’ils me fassent.
    Victor se vit alors affrontant deux périls : il entendait rire mais il ne savait pas pourquoi et, de sa main tremblante, à hauteur de son nez, il voyait osciller sa tasse fumante du brouet noir dont le parfum l’écœurait.
    – Qu’est-ce donc que ce gris ? bégaya-t-il.
    – Une sottise, répliqua le conseiller franchement hilare, les gens d’ici la perpétuent pour se moquer des provinciaux qui affluent journellement en ville. Ils les dépêchent aux porches des églises de la Cité acheter ce gris, or vous apprendrez vite que c’est là un des noms qu’on donne au vent à Paris.
    Victor répondit à la plaisanterie par un sourire pincé que son café au sucre non dissous, en passant d’un gros trait, laissa franchement s’épanouir en grimace.
    Après avoir rapporté l’heure de sa montre à celle qu’indiquait un cartel d’applique, monsieur Davignon reprit une pose hautaine :
    – Victor de Gironde, mon cher neveu, je sais votre histoire… Vous avez été chassé de chez vous par l’application de lois que j’ai toujours regardées comme iniques. Je le dis, je le déplore mais il n’est, hélas ! pas en mon pouvoir d’en adoucir la rigueur. Vous trouverez ici un foyer où nous ne ménagerons rien pour vous faire oublier votre affliction. Vous allez apprendre à me connaître. Je suis sévère, exigeant, ennemi par-dessus tout de la paresse et de la frivolité. Il faut dès cette seconde bien nous entendre sur ceci : vous aurez mon appui tant que vous désirerez ardemment vous construire un état ; vous recueilleriez mon indifférence s’il vous prenait l’envie de ne songer qu’au plaisir. Mais, dites-moi, ces heures de chevauchées ont-elles éveillé quelque idée sur ce que vous désiriez entreprendre ?
    – Je suis assuré d’une chose qui aurait hérissé mes aïeux, dit Victor, c’est que je ne ferai jamais un bon soldat. Quant à l’Église, si j’adhère sincèrement à ses vérités, j’en ai trop vu la face intolérante pour pouvoir m’y sentir à l’aise.
    – Je ne vous blâmerai pas de refuser l’un et l’autre état, opina monsieur Davignon, ce choix je l’ai fait avant vous avec la même conviction. Il faut pourtant que vous sachiez qu’à refuser ce qui s’offre sans discussion à la noblesse, vous restreignez considérablement vos chances d’établissement. Les charges de cour, par exemple, vous seront refusées parce que vous êtes le fils d’un homme qui s’est abstenu toute sa vie de paraître à Versailles.
    – J’ai bien compris cette première leçon, mon oncle, répondit Victor, et je suis déjà certain qu’avec votre aide j’aurai la force de respecter le serment fait à mon père en le quittant.
    – Quel serment ?
    – Rendre notre nom fameux pour faire savoir partout que les Gironde n’ont pas été punis pour leur infidélité.
    – Ce combat, en tant que votre parent, sera le mien, reprit monsieur Davignon, et aussi longtemps que vous travaillerez loyalement dans ce but je serai à vos côtés. Comprenez-moi bien, cependant, je ne prêche pas pour qu’on amasse ici-bas honneurs et diplômes mais plutôt pour que chacun, dans ces temps encore bien imparfaits, s’essaye à donner à son existence un sens d’utilité sociale. Mais suspendons le cours de ces sentences…
    Il tourna un visage faussement inquiet vers Jean-Hercule qui était resté debout près du fauteuil de sa marraine.
    – … Notre ami irait bientôt dire que je me suis mis en tête de vous faire faire le premier exercice de la grammaire de Port-Royal.
    – Je ne pense ni ne dis rien, cher parrain, protesta le futur docteur, une fois de plus vous profitez de mon indulgence pour m’imputer en bloc les agissements de vos bêtes noires jésuites.
    – Bêtes noires… Ah ! pour ça, elles le sont vraiment ! repartit l’oncle de Victor en s’amusant à faire allusion à la couleur des robes de ceux de la Compagnie.
    – Voilà une autre discipline à laquelle il faudra apprendre à vous rompre ici que celle de la controverse ! soupira madame Davignon, pour moi – si ces messieurs m’autorisent à donner mon avis – je dirai que rien n’est plus vrai que ce que proclamait récemment en chaire l’aimable vicaire dominicalier 98 de Saint-André-des-Arcs. Il comparait l’Église à une grande verrière transpercée par la lumière des passions. Ses innombrables fragments sertis dans leurs plombs rappelaient les

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