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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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n’ose pas encore frapper à la tête. Pourtant, si demain, tirant prétexte de ses débauches, le parti dévot parvenait à déconsidérer ce prince, voire l’écarter de la succession royale, nous verrions cet événement sans exemple suivi de beaucoup d’autres plus surprenants encore… Le Bas-Empire serait dans Versailles et, une fois la monarchie vidée de sa substance, les sabreurs les plus hardis n’auraient plus à regarder le trône comme un objet inaccessible.
    – Vous me faites frémir, bredouilla le vidame, mais comment parvenez-vous à mettre à nu tant d’épouvantables desseins ?
    – Cet organe a la capacité de démêler le secret des âmes, répondit le tailleur en montrant le seul œil qu’il gardât alors ouvert, et comme personne ne songe à se défier du vilain crapaud qui porte les habits de ces beaux messieurs…
    Il singea de nouveau le glissement précautionneux d’un conjurateur.
    – Il faut vous dire, messeigneurs, que grâce à ces riens que les grands ont la manie de laisser traîner et qui trahissent leur scélératesse mieux que des aveux signés, bien avant que vous ne fussiez en âge de me questionner, j’avais tout subodoré de la fameuse Affaire des Poisons… Assurément, j’eusse gagné plus gros au service de monsieur de la Reynie 93 qu’à celui de maître Pivoine.
    Cessant brusquement de parler, il sauta au bas de son estrade et bouscula son compagnon.
    – Pousse-toi !… Tu me désoles, frelon stupide ! avec cette façon godiche de tenir cette toise.
    Il s’empara d’un geste vif de la lourde règle ferrée et commanda à Victor de placer les mains sur ses épaules.
    – Ah ! ah ! nasilla-t-il en frôlant imperceptiblement les coudes de sa victime, voici des bras allongés comme il faut pour tirer l’épée… Vantez-vous d’être tombé à pic et de m’être sympathique. J’ai là deux ou trois beaux ensembles que je pourrais adapter en un tournemain à votre taille… Que diriez-vous d’un ton de gris pour pleurer avec votre mélancolie, d’une couleur de framboise et d’un vert pour faire pépier votre jeunesse ?
    – Trois habits ! s’effraya Victor.
    – Ce sont les ordres de votre oncle, s’entremit le vidame, car, dans cette ville, un homme qui n’a que trois costumes est tout juste un laquais.
    – Si vous n’êtes pas superstitieux, reprit maître Pierre, je vais vous montrer quelques merveilles restées sans preneur… L’hécatombe parmi les hommes qui s’habillent est considérable. Jugez plutôt ! L’habit gris était destiné à un charmant jeune homme qui faisait le galantin auprès de la femme d’un juge. Celui-ci, un vieux jaloux rechigné, a fini par s’aboucher avec des êtres peu recommandables qu’il sut si bien intéresser à son malheur que, peu de temps après, les pêcheurs de Conflans remontèrent dans leurs filets le corps tout transpercé du petit friponneau… Quant aux vert et framboise, ils nous restent d’un mystérieux seigneur qui venait ici tous les mois commander deux ou trois costumes, agrémentés chaque fois d’une touche de chic anglais, qu’il fallait exécuter aux mesures de personnes que nous n’avions jamais vues. Cet homme a été assassiné lui aussi. J’ai découvert depuis qu’il était un fidèle du roi Jacques 94 et l’âme d’un complot qui devait permettre à quelques conjurés catholiques de débarquer sur les rives de la Tamise où, grâce à leurs costumes à la mode de Londres, ils se seraient mêlés à la foule sans éveiller l’attention… Voilà l’histoire des atours que je vous destine, c’est pourquoi je vous demande à nouveau si vous êtes impressionnable.
    – Ce que vous venez de me conter, convint Victor, a en effet de quoi refroidir plus d’une âme sensible. Mon père cependant m’a appris à n’être influencé que par ce qui se démontrait… Il suffira donc que vos habits m’aillent et qu’ils me plaisent pour que je les adopte.
    – Bravo ! s’écria maître Pierre, voici la fière réponse que j’attendais !
    Il tapa de nouveau dans ses mains et l’on vit s’avancer deux autres apprentis au crâne gainé d’une marmotte. Ils déshabillèrent Victor, le roulèrent dans un drap rêche, puis, après l’avoir assis, procédèrent à l’essayage des bas de soie de Chine à coin brodé qui venaient de chez le fameux Perdrigeon. Ils lui passèrent ensuite une chemise de drap fin, empesée comme un médaillon de stuc, dont ils resserrèrent le col, à la

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