Le marquis des Éperviers
passées à chevaucher en compagnie de Maximilien de Carresse au travers du Limousin, lui donnait la nostalgie des espaces de son enfance et des galopades qui roulaient avec elles des bouffées de liberté. Il songeait à Marie de Rignac, si loin alors, mais qui avait conservé dans sa main la plus grosse part de son cœur. Paris, but trop vite atteint de son exil, malgré ses splendeurs, malgré la douceur de l’accueil qu’on lui avait réservé, paraissait n’être d’abord que la geôle qu’avait assignée à son innocence l’iniquité des hommes.
Après avoir ri de voir Stella danser, contemplant ses habits jetés sur le sol, ganses amidonnées, carcans de sa jeunesse allante, il ne put se retenir de pleurer. Ce moment d’oubli dura plusieurs minutes pendant lesquelles Stella, pelotonnée ainsi qu’un chaton au creux du ventre de son idole, se mit à sucer goulûment son pouce pour passer son effroi. Alors, qu’ainsi blottis l’un contre l’autre, ils somnolaient à demi, un souffle léger, en faisant frissonner un rideau, découvrit un angle de ciel limpide qui fit jaillir, vive comme une étincelle, une longue traînée de jour. Victor ébloui et aussitôt honteux de s’être laissé gagner par la tristesse, sécha du bout des doigts les larmes que l’enfant venait de verser de concert avec lui. Se jetant d’un bond au bas de son lit, il s’empara de ses deux souliers à boucles et, produisant un clabaudement hargneux, entreprit de mimer le combat de deux chiens. Stella partit à rire avec ivresse ; de grosses perles de bonheur vinrent balayer la dernière écume de sa tristesse et de son gosier mort montèrent quelques cris de joie.
Victor alla tirer le rideau et la clarté fit entrer la vie à grand flux. Il prit au fond de sa sacoche les deux plis que lui avait remis le chevalier et en relut les adresses : « Maître Péruchot, marchand de cierges, rue Saint-Sauveur », « Brandelis de Grandville, docteur en théologie ». Tandis qu’il parcourait ému ces quelques mots tracés de la main de Maximilien, il se souvint d’une phrase que celui-ci lui avait dite, au matin de leur première séparation, sur la terrasse ombrée par les glycines du château de Rignac : « Lorsque vous douterez de vous ou de la suite des événements, fixez-vous un objectif en accord avec votre cœur, c’est lui qui vous entraînera infailliblement et qui vous gardera la tête hors de l’eau. » Méditant ces quelques mots et se pénétrant de l’idée forte qu’il tenait entre ses mains, avec ces sortes de reconnaissances de sa dette d’amitié, ses plus sûrs objectifs, il effleura longuement du bout de son index les quatre bords râpeux de chacun des messages.
Notes
70 . Véhicules à deux roues en forme de chaise à porteurs que manœuvrait un seul valet au moyen de deux brancards.
71 . Saint-André détruite, et ne pouvant donc plus laisser admirer ses arcs, deviendra par déformation des-Arts.
72 . Petite employée des modistes et des couturiers.
73 . Coup de bâton.
74 . Instrument à la porte des maisons que les visiteurs manœuvraient pour s’annoncer.
75 . Tiré du nom d’Achate : ami constant.
76 . Titre féodal qui était attribué au vassal d’un évêque, chargé des affaires temporelles et militaires d’un diocèse.
77 . Soie à gros grain.
78 . C’est-à-dire hors la présence des domestiques qui n’entrent dans la pièce où l’on mange qu’appelés par la clochette posée sur la table.
79 . Prendre soin que tout soit apprêté pour le repas.
80 . Marchands qui vendaient sur les ponts.
81 . Grosse étoffe de bure.
82 . Gérard Dou (ou Dow) (1613-1675), peintre et graveur hollandais.
83 . Qui chantaient avec l’ornement du machicot, c’est-à-dire en ajoutant des notes pour remplir les intervalles du plain-chant.
84 . J’ai répandu une odeur suave, pareille à celle de la cannelle et du baume, une odeur aussi agréable que celle de la myrrhe la plus excellente.
85 . Partisans du père Pasquier Quesnel (1634-1719), membre de l’Oratoire, auteur du livre « Le Nouveau Testament avec réflexions morales sur chaque verset » auquel se réfèrent tous les jansénistes de la deuxième génération. Une bonne part des difficultés religieuses du début du XVIII e siècle provient de ce que de nombreux prélats de tradition rigoriste, tels que Bossuet ou l’archevêque de Paris, Antoine de Noailles, ont commencé par donner une approbation à ce livre avant de la
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