Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
Vom Netzwerk:
divisions de notre humanité, les noirceurs de l’ensemble y répondaient aux éclats pour suggérer les contrastes de nos vicissitudes ici-bas.
    – Agnès exquise ! murmura le conseiller en effleurant des lèvres chaque doigt de la main de sa femme qu’il n’avait cessé de presser.
    Il se tourna vers Victor, demeuré bouche bée pendant toute cette discussion :
    – Vous voici rassuré à propos des éclats que vous entendrez dans cette maison ; ils finissent par éclore en un bouquet de poésie… Je serai plus concret pour finir en disant que je me suis soucié de vous tandis que vous couriez jusqu’ici. J’ai pris langue avec ceux de mes amis qui pouvaient vous mettre en selle. Votre place était réservée à l’Hôtel des Mousquetaires où tout jeune gentilhomme doit passer avant de servir dans l’armée… Maintenant que je sais que vous ne voulez pas endosser la soubreveste 99 , je vois vers qui vous diriger… Dès cette semaine, je vous conduirai chez deux de mes plus constants amis, les frères de Thésut, gentilshommes de l’ancienne marque 100 , dont l’aîné est en titre le secrétaire des commandements de la Maison d’Orléans. Ils accepteront, si vous leur plaisez, de vous prendre quelque temps sous leur aile. Auprès d’eux vous vous débrouillerez au monde des bureaux et vous savoir entre leurs mains fertiles me comblera de joie.
    – Ils sont extravagants, ajouta madame Davignon, la tête mollement appuyée à l’oreillette de sa bergère, il sort parfois de leur bouche un ramage barbare mais toujours inspiré par le cœur et la raison.
    – Ils ont de l’esprit et de la science à revendre, renchérit le vidame, mais ce sont de furieux jansénistes.
    – Décidément, c’est la suspicion du vieil inquisiteur de Sorbonne qui vous tient ! protesta le conseiller en fronçant les sourcils, l’abbé est oratorien, ami de Malebranche et de Bossuet ; tous ses efforts ne tendent qu’à concilier les opinions religieuses extrêmes. D’ailleurs avez-vous déjà vu des jansénistes aimer le bon vin au point où l’aiment ces deux-là ?… Si vous m’en croyez, ils sont bien davantage furieux Bourguignons que toute autre chose.
    – Le fait est, convint le vidame en arrondissant des lèvres gourmandes, qu’exceptée la vôtre bien sûr, il n’est pas dans Paris de table plus recherchée que la leur.
    Monsieur Davignon, qui venait de se dresser, posa une main sur l’épaule de Victor pour appuyer sa conclusion.
    – Si ce projet se concrétise, vous n’aurez rien à regretter.
    Ayant ainsi parlé, il s’esquiva pour entreprendre un premier classement de la malle de dossiers qu’il rapportait pour le travail de sa semaine. Les deux garçons, sortis sur ses brisées, s’engouffrèrent dans l’étroit couloir qui réunissait les arrière-cabinets en évitant la traversée de l’enfilade noble.
    Parvenu dans sa chambre, Victor éprouva l’impérieux désir de se débarrasser de ses nouveaux harnais. Il se retrouva en un clin d’œil jambes nues, en culotte et chemise de soie, à la grande joie de Stella que la vue de sa métamorphose avait tout d’abord effrayée. Cette dernière, lorsqu’elle eut à peu près retrouvé la physionomie de son sauveur, marqua sa joie en improvisant une sarabande vive et joyeuse. Étendu sur son lit, grattant mollement la voûte de ses pieds avec l’extrémité d’une plume d’oie, il la considérait avec amusement tandis qu’elle faisait tourner sur son index la perruque qu’elle venait de ramasser à terre. Tout en se carrant sur ses oreillers, il songeait à sa nouvelle existence. S’essayant d’abord à ordonner les premières impressions que lui avait procurées son arrivée dans la capitale, il remonta tout naturellement le cours de sa vie depuis trois semaines. Il songea alors aux labyrinthes initiatiques qu’il avait vus quelques fois tracés sur le carreau des églises : un chemin sans échappe y guidait les apprentis d’une épreuve à l’autre, les précipitant de vaste cercle en vaste cercle, comme dans une suite de mondes clos auxquels leur course les retenait de s’attacher. Ballotté par la destinée, il voyait s’ouvrir son âge parisien avec espoir ; le sourire de sa tante, la bienveillante majesté de son oncle, l’amitié du vidame, le rassérénaient. Pourtant, malgré tous ces bienfaits, il traînait derrière lui encore trop de regrets pour oser se réjouir. Le sourire de Stella, en lui rappelant les heures

Weitere Kostenlose Bücher