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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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l’abbé élevant ses deux bras au droit de ses oreilles. Difficiles nugae 108 ! Nous sommes dans un temps où il vaut mieux connaître les langues qu’on parle en Europe, la physique, l’algèbre, les mathématiques.
    – Mais je ne sais rien de tout ce que vous énoncez ! se lamenta Victor en donnant les marques d’un profond abattement.
    – Quel âge avez-vous ? demanda à brûle-pourpoint l’abbé.
    – Je vais vers mes dix-huit ans.
    – Êtes-vous désireux d’apprendre et de vous construire une position ou préférez-vous mener la lugubre existence des blancs-becs qu’on voit un peu partout se précipiter aux bras des grisettes pour courir le garou ?… Répondez sincèrement !
    Victor, interrompant l’abbé, qui venait de souligner son dégoût de l’oisiveté par des gestes sauvages, s’avança au bord de son fauteuil et parla tout d’un trait :
    – Monsieur ! malgré mon jeune âge, me voici, sans presque aucun héritage, chargé de deux sœurs et de l’honneur de toute une lignée… Même si je le désirais – et ce n’est pas le cas – je crains de n’avoir aucun loisir pour mener une vie de plaisir. Je suis du fond du cœur animé du désir de servir tous ceux qui m’aideront à effacer le tort qu’on a fait à ma famille.
    – Pectus est quod disertos facit 109 ! exulta l’abbé en trépignant… Palsembleu ! Charles, voici un bonhomme qui sait s’y prendre pour chatouiller votre vieux Thésut dans le sens du poil.
    – Alors c’est dit, vous le prenez avec vous ? s’enquit le conseiller.
    – Dès demain, six heures ! il ne faut jamais laisser retomber le levain des enthousiasmes. À propos, je pense avoir sur moi fort à pic une méthode d’instruction que j’ai imaginée la semaine passée.
    Il se leva pour farfouiller les replis de sa robe d’intérieur, toute fendue de poches et de goussets et en extirpa environ dix papiers roulés en boules qu’il déplia pour les examiner à la diable.
    – Tiens ! fit-il en parcourant celui qu’il venait de défouir en dernier, ce n’est pas notre affaire mais voici qui vous intéressera, j’en suis sûr. Il s’agit d’un plan de règlement de la succession espagnole ruminé hier au long d’interminables vêpres. Je vais le faire mettre au net par un de mes secrétaires et vous en ferai tenir la copie.
    Soulevant la soutanelle qu’il portait sous sa robe et furetant dans sa brassière, il finit par exhumer un feuillet noirci sur ses deux faces de sa fine écriture.
    – Voilà ! voilà ! marmonna-t-il tout satisfait de sa trouvaille, je vais vous lire cela en mentionnant seulement les titres car ils résument toujours bien ma pensée.
    Il se tourna vers Victor :
    – Souvenez-vous, jeune homme ! qu’un bon titre doit obéir à la règle des quatre C : court, concis, clair, complet. Mon projet s’intitule donc tout simplement : plan simplifié d’éducation moderne. C’est éloquent, limpide, suffisant. Multa paucis 110 !
    Planté devant ses deux hôtes, dans le contre-jour d’une des lucarnes ovales qui paraissait l’inscrire dans une sorte de gloire, il offrait l’étonnant spectacle de sa petite perruque chavirée par-dessus un empilement d’habits digne des surépaisseurs de peaux d’un vieil oignon.
    À cause du prodigieux effort qu’il dut faire pour se relire, il se prit à ânonner mais sans se départir de ce ton suave et légèrement pleurant qui, du temps où il prêchait, faisait de lui en Carême l’un des orateurs les plus fameux de Paris.
    – Primo , distinguer entre les spécialités auxquelles on ne viendra qu’après avoir épuisé le général qui demeurera la base obligée de toute éducation bien menée. Le général, auquel on devra se contraindre, fût-ce sans inclination, sera l’histoire purifiée par nos bénédictins 111 . On apprendra de cette façon comment ont vécu nos pères, ce qu’ils ont fait de grand, les erreurs qu’ils ont commises… En second, viendront les sciences exactes, celles nécessaires au développement des techniques qui nous permettront demain de maîtriser l’univers. Dans ce domaine on s’attachera surtout à la physique, à la chimie et au dessin exact des choses de la nature. On fera bon profit item de deux ou trois langues d’Europe parlées par les gens de qualité : d’abord l’italienne, puis l’espagnole et, si l’on dispose d’un peu plus de loisir, du parler barbare des Allemands et celui encore pis des Anglais. La philosophie ne viendra

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