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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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qui lui est chère.
    – Je viens avec vous, s’exclama Jean-Hercule, seul vous vous perdriez.
    – Non point ! protesta Victor, je n’étais pas venu vous distraire…
    – N’ayez pas de scrupule ! insista le vidame, j’enrage aujourd’hui de ne rien avancer… Tout se brouille dans ma tête. C’est un de ces jours maudits où il vaut mieux prendre l’air plutôt que laisser son esprit s’échauffer.
    – Je dois aller seul… La personne est farouche.
    Le vidame ne put réprimer un sourire.
    – Ne serait-ce pas plutôt un plaisir que vous vous gardez en égoïste ?
    – En quelque sorte, bégaya Victor en se troublant.
    – Et où loge cette ogresse ?
    – Rue Neuve-Saint-Sauveur.
    Jean-Hercule s’étonna :
    – Nargue ! c’est un quartier bien industrieux pour lier des connaissances… disons un peu fines. Votre hôtesse est sans doute ferronnière. Après tout, vous savez comme moi qu’il y en eut une au moins jadis qui inspira le génie 115 .
    Le vidame traça son chemin à Victor sur un petit rôle qu’il lui tendit en riant :
    – Vous avez jusqu’à minuit, ce n’est qu’à cette heure-là que le guet donne la chasse aux vagabonds.
     
    La rue Neuve-Saint-Sauveur, au centre du quartier des maîtres-serruriers, était peuplée d’ateliers sonores qui déversaient au ruisseau à gros jets le résidu noir et gras des bains d’acide. Les enseignes qui festonnaient le redent des façades, superbes échantillons du savoir-faire de leurs propriétaires, s’y trouvaient plantées à profusion, plus serrées que les étendards pris aux ennemis que Victor avaient découverts frangeant les tribunes de Notre-Dame. Elles figuraient souvent des sainte Barbe alanguies à des tours crénelées, quelques fois d’affreux Vulcain dont l’un, métamorphosé en cyclope par une étrange réinterprétation de la mythologie, présentait un œil unique en plein milieu du front.
    Victor, qui avait dû demander son chemin à quatre ou cinq reprises à cause de l’absence de numérotage des immeubles et souvent de désignation des rues aux carrefours, finit par découvrir la maison de maître Péruchot, tapie dans un cul-de-sac, à l’écart du ballet des galopins en bas rayés et du grouillement besogneux des venelles. Le nom de Péruchot figurait en lettres goffes sur un calicot défraîchi avec cette indication : « Maître chandelier, suiffier, ciergier. » Se sentant brusquement des jambes de laine, il passa et repassa devant cette porte austère tout à fait propre par sa rudesse à dissimuler l’antre d’un conspirateur.
    Face à cette boutique, une grosse mamelue d’une laideur fulgurante, qui calait avec son ventre, contre une borne cavalière, un chaudron au cul plein de fumée, s’affairait à nettoyer la fressure d’un porc qu’on venait d’égorger dans une arrière-cour. Elle pétrissait à pleines mains, dans une eau frémissante, un hachis aux vertus détergentes d’orties et de fanes de raves, portant fréquemment à ses lèvres violacées, afin de vérifier en soufflant qu’ils n’étaient pas crevés, ces boyaux fumants encore qui devaient servir d’enveloppe à des boudins. Chaque fois qu’elle s’enfonçait jusqu’au coude dans ce magma d’épouvante, une odeur de tripes chaudes et d’excrément levait du baquet, emplissant par bouffées tout le fond du passage.
    – Y a-t-il quelqu’un chez maître Péruchot ? hasarda Victor.
    – Par ma foi, répliqua d’un ton raide l’ogresse, j’ai vu rentrer tout à l’heure un grand butor d’Italien qui m’a posé la même question que vous !… Il doit être ressorti sans que j’y prenne garde… Quant à votre monsieur Péruchot, il est dans son atelier qui nous empeste depuis ce matin à faire chauffer son suif.
    Pour discourir plus à son aise, la grognonne, qui empuantissait elle-même sans vergogne, avait posé sur ses hanches deux avant-bras flasques dégouttants de bouillie verte.
    – Je craindrais de déranger, bredouilla le visiteur qui cherchait au dernier moment un prétexte pour s’esquiver.
    – Pour ça, non ! trancha la mégère, avec tout ce qui entre et sort de cette boutique sans jamais acheter de chandelles, on peut dire que votre ami aime la compagnie… Je ne vois d’ailleurs pas ce que les gens lui trouvent, il n’est guère causant, chignard au possible et bien mauvais voisin. Poussez sa porte !… Vous verrez bien où il se terre.
    Victor, écrasé par le regard de ce gendarme femelle, se sentit

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