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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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! lança le conseiller dès qu’il eut découvert l’aîné des Thésut sanglé dans un habit de teinte violet garance à revers rouges et boutons grelot qui avait à dessein une coupe d’uniforme.
    Repoussant assez rudement l’aide que lui proposait son frère, le vieil homme se campa sur ses longues jambes et, brisé comme un fléau levé, s’approcha de ses hôtes.
    – Ah ! mon bon Charles, ronchonna-t-il, votre visite à la vieillesse est toujours une bonne action. Vous me voyez là bien mal en point, mais rassurez-vous ! ce n’est pas aujourd’hui que la confrérie des barbiers-chirurgiens et marchands d’onguent miton-mitaine aura ma peau. Ils sont venus tout à l’heure en rang d’oignons me soutirer par précaution 106 au moins une pinte de sang. Quand comprendront-ils, ces ânes, qu’on achève les gens en leur ôtant le précieux liquide qui les fait se soutenir ?
    – Et pourquoi les laissez-vous agir ? Et que diantre les appelez-vous sans cesse à votre chevet ? s’emporta l’abbé.
    – Sacristi ! riposta le chevalier en pointant un index démonstratif, on dirait que vous ne les connaissez pas… Ces diables en robe ont plus d’un vilain tour dans leur besace. Ils auraient tôt fait de vous supprimer, par méchanceté pure, dès lors que vous vous seriez mêlé de contrecarrer leur science. Et puis… et puis, monsieur le raisonneur, je ne suis pas Don Quichotte moi ! Mieux vaut suivre idiotement le troupeau plutôt qu’à tout propos, comme vous, se croire tout seul un esprit fort.
    L’abbé, que cette répartie avait conduit à sourire avec un air de bénignité, poussa Victor devant son frère, lequel, achevant de s’approcher en traînant les pieds, vint en faire trois fois le tour avec la mine pleine de méfiance qui ne quitte jamais le maquignon à l’affût.
    Après être demeuré un moment pensif et avoir craché sur le parquet dans un fracas de forge, l’aîné des Thésut conclut :
    – Ce garçon a du fion… Bonne race !… Il faut en faire un soldat.
    – Un soldat sans plus examiner l’intellect ! s’offusqua l’abbé.
    À ces mots, le chevalier, qui s’était brusquement hérissé comme un vieux coq mouillé, commença de relever les épaules. Il se dressa sur la pointe de ses bottes et lâcha de dessous ses paupières alourdies un feu qui dissipa net les derniers brouillards de ses fièvres.
    – Que signifie, mon frère, ce jabotage ? Ce gazouillis impertinent ? Ce lanturlu de bonne femme ?… Les soldats, que je sache, ne sont pas l’épluchure du genre humain.
    L’abbé, soucieux de ménager son aîné que la colère faisait suffoquer, souligna la pureté de ses intentions d’un accent plein de miel.
    – Je ne voulais pas vous froisser, Théophile ! mais enfin ne brisons rien à cet âge si tendre. Maxima debetur puero reverentia 107 . Ce garçon a peut-être plus de dons pour devenir conseiller ou diplomate…
    – Et augmenter le nombre des fainéants qui peuplent les bureaux ! bourrasqua le chevalier en toisant son cadet.
    Sa langue se glaça dans sa bouche après qu’il eut réalisé qu’il se trouvait en présence d’un conseiller d’État. Il se mit aussitôt à tousser, à se moucher dans sa manchette et, pour finir, l’échine de nouveau brisée, retourna se tapir sur son confessionnal à l’abri du rempart que formaient ses livres en pile.
    Quelques secondes plus tard on l’entendait qui poursuivait ses grognonneries en ratiocinant faiblement :
    – Après tout, faites ce qui vous chante de cet innocent ! Je suis trop vieux pour m’en mêler. D’ailleurs, depuis que Luxembourg ou Turenne ne sont plus de ce monde, personne, sacredire ! ne sait plus mener un siège comme il faut ni conduire un assaut dans les règles.
    L’abbé, dès que la tête de son aîné fut tout à fait retombée, entraîna ses visiteurs à l’autre bout de la vaste salle, près d’une fenêtre qui donnait sur la cour d’honneur.
    – Nous parlerons dans ce coin plus à l’aise, confia-t-il, mon frère se met désormais dans ces sortes de transes chaque fois qu’il voit pointer ici le bonnet d’un médecin… Il lui faut du repos, son cœur est usé.
    Il se tourna vers Victor qui, son tricorne posé sur les genoux, attendait avec appréhension qu’on en vînt à son cas.
    – Dites-moi à présent, jeune homme, ce que vous avez appris et ce à quoi vous souhaitez employer vos capacités.
    – Je connais bien mon latin…
    – Chose bien superflue ! protesta

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