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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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fameux Losné et, sur tout un pan de mur, d’une bibliothèque grillée bourrée de gros volumes richement reliés qui portaient – chose remarquable à l’intérieur de cette sorte de meuble d’apparat – les stigmates d’un raisonnable usage. De là, après leur avoir fait monter quelques marches, il les introduisit dans un salon immense, percé de douze mansardes bombées qui s’inscrivaient dans des lambris ovales. Cet espace, qui couvrait en parallèle l’exacte longueur de la salle de spectacle, était encombré de layettes empilées dans des meubles à volets roulants, de maroquins chiffrés dressés sur des rayonnages, de cartonniers « aux armes » dont les dos de cuir rouge étincelaient de l’or des grands colliers des ordres du Saint-Esprit et de Saint-Michel.
    Les deux Thésut gisaient presque en permanence au fond de ce déballage au fouillis méthodique qu’égayaient seulement d’opulentes touffes de pavots, seules fleurs qu’ils se soient accordés à voir flamboyer chez eux dans quelques majoliques rares. Lorsque Victor et son oncle parurent, le chevalier était écroulé sur une de ces larges bergères qu’on désignait sous le nom de confessionnal, rompu sans doute d’avoir chiffonné l’exemplaire d’une gazette de Hollande qui gisait à ses pieds. L’abbé, à deux genoux sur les bords d’une grande savonnerie 104 , farfouillait sa corbeille pour reconstituer un document qu’il venait malencontreusement de mettre en pièces.
    Ayant entendu qu’on venait, celui-ci, après s’être promptement relevé, rajusta ses besicles et s’avança en boitillant vers monsieur Davignon qu’il serra dans ses bras.
    – Charles ! s’écria-t-il, c’est telle rareté de vous voir… Notre talentueux conseiller d’État se morfondrait-il dans la tanière de ses grigous favoris ?
    – Vous savez bien que non, Hippolyte, protesta l’oncle de Victor, c’est le temps qui nous manque à tous. Il faut dans mon cas n’incriminer que la fureur des ministres à vouloir tout régler sur l’heure.
    – Stupéfiant ! maugréa l’abbé, car personne ne peut honnêtement considérer que les résultats du labeur de ces messieurs soient à hauteur de leur acharnement. Je trouve même qu’on perd furieusement son temps à Versailles et, si vous voulez mon avis tout cru, ces Pontchartrain, Torcy et autres Phélypeaux que le roi charge à présent de ses affaires sont loin d’avoir la classe de leurs pères.
    – Il faut être juste, objecta le conseiller, la plupart d’entre eux sont capables. C’est une chance car, s’ils n’avaient pas ces qualités, nous devrions tout de même faire avec eux depuis qu’on s’est convaincu en haut lieu de l’hérédité des vertus ministérielles.
    L’abbé, à ces paroles, ne put réprimer un mouvement d’épaules qui n’était toujours pas retombé quand il se tourna vers Victor pour le dévisager d’un froncement de ses sourcils broussailleux.
    – Voici votre protégé ? marmonna-t-il en grattant obstinément son nez rougeaud.
    – Mon neveu, Victor de Felzins, rectifia monsieur Davignon, son père fut colonel au régiment de Royal-Limousin, il combattit sous Turenne et fut l’un des héros de la rude journée d’Altenheim 105 . Pour le remercier de sa bravoure on vient de tirer prétexte de l’attachement qu’il n’a jamais cessé de nourrir pour la religion protestante en le forçant à se séparer de ses enfants.
    – Saperlot ! l’ignoble intolérance, pesta l’abbé en martelant le parquet chevillé de son escarpin verni, elle fait toujours crever des innocents et elle se prépare de beaux jours encore grâce à la canaille jésuite et à ces sacrés jupons de Saint-Cyr dont la vieille guenipe de Maintenon s’acharne à farcir nos meilleures familles.
    On entendit soudain un râle affreux qui parut lever d’un sépulcre. C’était le chevalier qui rugissait dans son style plein de hachures.
    – Les jésuites aux galères !… Les filles de Saint-Cyr au bordiau !… Les papistes en Chine !
    L’abbé, donnant soudain des marques de panique, se jeta en trois bonds au chevet de son frère.
    – Par saint Fiacre, Théophile, calmez-vous ! Vous êtes beaucoup trop faible sitôt après cette saignée pour vous mettre en colère.
    La figure de l’allongé, creusée mais cramoisie, enturbannée d’une pièce de casimir rêche dont les plis cassaient abruptement, finit par émerger de derrière un mur de livres.
    – Mes respects, chevalier

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