Le médecin d'Ispahan
jamais. Vous m'avez
toujours battu à ce jeu-là.
– Qu'est-ce
que tu trouverais bien comme salaire ? Pour un gamin de seize ans ?
– Je ne
voudrais pas de salaire.
– Pas de
salaire ? fit l'autre, soupçonneux.
– Non. Vous
gagnez sur le Spécifique et sur les traitements. Eh bien, je veux l'argent de
chaque douzième flacon et chaque douzième client.
– Le
vingtième. »
Rob hésita un
instant avant d'accepter.
« Cet
accord est valable un an, puis renouvelable par mutuel agrément. Marché
conclu !
– Marché
conclu ! »
Et ils
sourirent en levant leurs gobelets.
Le Barbier
prit les choses au sérieux. Chez un menuisier de Northampton, il fit faire un
second paravent et, à l'étape suivante, l'installa non loin du sien.
« Il est
temps que tu voles de tes propres ailes », dit-il à Rob.
Après le
spectacle et les portraits, celui-ci alla s'asseoir derrière le paravent et
attendit. Les gens le moqueraient-ils de lui ? Retourneraient-ils dans la
file du Barbier ?
Le premier
patient frémit quand il lui prit les mains car sa vieille vache, « la sale
bête ! », lui avait piétiné le poignet. Rob le palpa avec délicatesse
et oublia tout le reste. C'était une contusion douloureuse, une fracture d'un
os important du pouce. Il passa beaucoup de temps à redresser le poignet et
fixer une attelle.
La malade
suivante semblait l'incarnation de ses craintes : une femme anguleuse aux
yeux durs, qui avait perdu l'ouïe. A l'examen, ne trouvant pas de bouchon de
cérumen, il ne sut que faire.
« Je ne
peux rien pour vous », dit-il à regret.
Elle secoua la
tête.
« Je ne
peux rien pour vous ! répéta-t-il plus fort.
– Alors,
demande à l’aut' barbier !
– Il n'y
pourra rien non plus !
– Que l’diable
t'emporte ! J'y demanderai moi-même », cria-t-elle, rouge de colère.
Il entendit le
rire du Barbier et des autres patients quand elle partit en trépignant. Puis
arriva un jeune homme, à peine plus âgé que lui, avec une gangrène avancée de
l'index gauche.
« Ce
n'est pas beau, dit Rob réprimant un soupir.
– Je l'ai
écrasé en coupant du bois il y a une quinzaine. Ça m'a fait très mal mais j'ai
cru qu'il guérirait. Et puis... »
La première
phalange était noire ; plus haut, la chair gonflée était couverte
d'ampoules d'où coulait un sang putride.
« Comment
l'avez-vous soigné ?
– Un voisin
m'a conseillé de l'envelopper de cendres humides mêlées de crotte d'oie pour
calmer la douleur. »
C'était un
remède courant.
« Bon.
Maintenant c'est une gangrène qui va gagner la main et tout le bras si l'on ne
fait rien. Et vous mourrez. Il faut couper le doigt. »
Le jeune homme
hocha la tête, courageusement.
Rob, pour plus
de sûreté, alla consulter le Barbier, qui approuva sa décision.
« Tu veux
de l'aide, mon garçon ? »
Rob secoua la
tête. Il fit boire au patient trois flacons de Spécifique, puis réunit, pour
les avoir à sa portée, tous les objets nécessaires : deux couteaux
aiguisés, une aiguille et du fil ciré, une planchette, des bandes de chiffons
et une petite scie à dents fines. Il lia le bras sur la planchette, la paume
tournée vers le haut.
« Fermez
le poing, sans le doigt blessé », dit-il au jeune homme, dont il banda la
main pour protéger les doigts sains. Enfin, il enrôla trois gaillards parmi les
badauds : deux tiendraient le malade, et le troisième la planchette.
Il avait vu
dix fois cette opération, l'avait faite à deux reprises sous le contrôle du
Barbier. Il allait l'entreprendre seul. L'important était de couper assez loin
de la gangrène pour en arrêter la progression tout en gardant le plus possible
du doigt. Il choisit un couteau et entama la chair saine. Le patient hurla,
tenta de se lever.
« Tenez-le
ferme », dit Rob.
Il continua à
découper, s'arrêtant un instant pour éponger le sang, avant de détacher
soigneusement deux lambeaux de peau saine qu'il rabattit vers l'articulation.
L'homme qui tenait la planchette s'en alla pour vomir.
« Prenez
la planche ! » dit Rob à celui qui tenait les épaules, et le
transfert se fit sans dommage car l'opéré s'était évanoui.
L'os céda
aisément sous la scie ; le jeune chirurgien retira le doigt et, replaçant
les lambeaux de peau, il fabriqua un joli moignon comme on le lui avait appris,
ni trop serré pour éviter la douleur, ni trop lâche pour ne pas risquer de
complications. Avec l'aiguille et le fil, il
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