Le médecin d'Ispahan
recousit le mieux qu'il put, à
petits points, versa du Spécifique sur le tout pour arrêter le sang, puis fit
transporter son malade gémissant à l'ombre d'un arbre.
Coup sur coup,
il fallut ensuite bander une cheville foulée, panser un enfant blessé d'un coup
de faux, vendre trois flacons à une migraineuse et six à un goutteux. Il était
assez content de lui lorsque arriva une femme décharnée, au visage cireux et
couvert de sueur : une incurable, il le sentit à travers ses mains.
« Pas
d'appétit, dit-elle, je ne garde rien. Ce que je ne vomis pas, je le rejette en
selles sanglantes. »
Palpant le
ventre, il y sentit une grosseur dure et la lui fit toucher.
« C'est
une tumeur... Une masse qui grossit aux dépens de la chair saine.
– Je souffre
terriblement. Il n'y a pas de remède ? »
Il l'aima pour
son courage et, ne voulant pas lui mentir, il secoua la tête. Que n'était-il
devenu charpentier !
Ramassant sur
le sol le doigt coupé, il le porta dans un chiffon au jeune homme qui avait
repris ses sens.
« Que
voulez-vous que j'en fasse ? fit celui-ci, surpris.
– Les prêtres
disent qu'il faut tout garder pour ressusciter entier au jour du
Jugement. »
L'autre
réfléchit un moment et remercia.
A Rockingham,
ils retrouvèrent Wat, le marchand d'onguent, qui les invita à un combat de
chiens. L'ours Bartram étant mort depuis quatre ans, il avait maintenant une
femelle appelée Godiva mais elle était malade : mieux valait en tirer,
dans ce combat, un dernier profit.
La nuit
tombait et la foule s'excitait déjà autour de l'arène éclairée par une douzaine
de torches de poix. Les dresseurs retenaient trois chiens muselés qui tiraient
sur leurs laisses : un mastiff aux os saillants, un chien roux plus petit
et un grand danois. On enchaîna l'ourse à un lourd poteau au centre de l'arène,
l'attachant au bas par une forte courroie de cuir, mais négligeant de fixer
celle du haut. Les spectateurs protestèrent.
« Attache
le cou, imbécile !
– Boucle-lui
le museau avec l'anneau de son nez ! »
Le maître
d'arène ne broncha pas sous les insultes, il avait l'habitude.
« Cette
ourse n'a plus de griffes. Le spectacle n'aura aucun intérêt si on ne lui
laisse pas ses crocs. »
Wat retira le
capuchon qui coiffait Godiva. Dressé sur ses pattes de derrière, le dos contre
le poteau, elle clignait les yeux et paraissait déconcertée devant les
lumières, la foule et les chiens muselés que les dresseurs avaient lâchés. Les
parieurs, peu enthousiastes car l'ourse était vieille, comptaient sur la
férocité du dogue et du danois, mais surtout sur le petit chien roux ; il
était, disait-on, d'une race spéciale, entraînée pour lutter contre les
taureaux. Pourtant, aucun n'attaquait.
Alors le
maître d'arène saisit une longue lance et en frappa Godiva à l'une de ses
mamelles ridées. Elle hurla de douleur. Aussitôt le mastiff se jeta sur elle
pour lui déchirer le ventre, mais l'ourse se détournant, les crocs redoutables
lui labourèrent la hanche. Le petit chien rouge lui sauta à la gorge et resta
suspendu à sa victime comme un gros fruit mûr à un arbre. Quant au danois,
grimpant sur le mastiff pour être plus vite au but, il arracha l'oreille et
l'œil gauche d'un seul coup de mâchoires.
« Un
combat manqué ! Ils ont déjà gagné », cria Wat déçu.
Mais Godiva,
secouant sa tête sanglante, abattit patte droite sur l'échine du mastiff ;
le craquement des vertèbres passa inaperçu dans le vacarme, et l'on vit le
chien mourant atterrir sur le sable.
Les gens
hurlèrent de plaisir. S'attaquant au danois, l'ourse le projeta à l'extrême
bord de l'arène, la gorge ouverte. Puis elle frappa le petit chien roux, plus
rouge encore de tout le sang qu'il avait reçu. Il tenta de l'égorger mais elle
l'étouffa entre ses pattes croisées et ne le lâcha que lorsqu'il fut mort. Puis
retombant près des chiens inanimés, elle se mit à gémir et trembler, en léchant
ses plaies.
Dans le
brouhaha, les spectateurs payaient et encaissaient leurs paris.
« Trop
court ! trop court ! grognait quelqu'un près de Rob.
– Cette sale
bête n'est pas morte, on peut encore s'amuser. »
Un gars ivre,
armé de la lance, se mit à harceler l'ourse en la piquant à l'anus ; on
applaudit en la voyant tourner sur elle-même avec un grognement, mais elle fut
vite bloquée par la courroie qui retenait sa patte.
« L'autre
œil ! cria-t-on dans la foule.
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