Le médecin d'Ispahan
des commères dans le
public pour lui donner la réplique. Un soir, à Lichfield, il poursuivit le jeu
jusqu'à la taverne, et les gens écoutèrent le Vieux raconter ses prétendus
souvenirs amoureux en lui payant à boire, si bien que, pour la première fois,
ce fut le Barbier qui dut soutenir son assistant jusqu'au campement.
Le gros homme
se réfugiait dans la bonne chère ; il mettait les chapons à la broche,
bardait les canards, bouillait les langues de bœuf à l'oignon et aux herbes...,
voyant avec inquiétude Rob courir les tavernes et boire n'importe quoi.
« J'ai
observé que tu ne prends plus les mains des patients.
– Vous non
plus.
– Ce n'est pas
moi qui ai le don.
– Quel don ?
Vous avez toujours dit que ça n'existait pas !
– Maintenant,
si. Et je crois qu'il peut se perdre avec la boisson. Ecoute-moi : don ou
pas, il faut prendre les mains des malades quand tu les fais passer derrière le
paravent. Ils aiment cela. Comprends-tu ? »
Rob acquiesça
d'un air maussade.
Un soir, ils
allèrent ensemble à la taverne pour faire la paix. Mais, ivre de vin de mûres,
le jeune homme s'en prit à un gaillard de son format et, à coups de poing, de
pied et de genou, la bagarre tourna au délire. Quand enfin on sépara les
combattants épuisés, le Barbier ramena son compagnon en le traitant d'ivrogne.
« Vous
pouvez parler !
– C'est vrai
que je peux aussi me soûler, mais j'ai toujours su éviter les histoires. Je
n'ai jamais vendu de poisons et je ne me mêle pas de mauvaises magies. Tout
dépend du contrôle qu'on garde sur soi-même. Arrête tes bêtises et desserre les
poings. »
Mais Rob
tournait à l'ours et ne cherchait que plaies et bosses ; la violence
gagnait en lui comme une mauvaise herbe, et le Barbier se demandait si son
apparent oubli des siens était un bien ou un mal. L'hiver à Exmouth fut le pire
de tous.
Ils partirent
en mars et suivirent la frontière du pays de Galles jusqu'à Shrewsbury, puis le
cours de la Trent vers le nord-est, en s'arrêtant partout. Cheval n'avait pas
le talent de Tatus pour se cabrer à la parade, mais elle était belle, avec sa
crinière ornée de rubans. Les affaires furent excellentes.
A Blyth, ils
allèrent aussitôt chez Durman Moulton ; le forgeron leur fit bon accueil et,
d'une réserve obscure au fond de la boutique, il rapporta deux paquets
enveloppés de peau souple, qu'il leur présenta. Rob retenait son souffle :
l'épée était, s'il est possible, plus belle encore que celle de l'année passée,
et le Barbier, soupesant la dague, la trouva merveilleusement proportionnée.
« Beau
travail », dit-il à Moulton, qui apprécia le compliment comme il
convenait.
Rob glissa les
armes à sa ceinture dans les fourreaux qu'il avait achetés en chemin, en
éprouva le poids inhabituel et posa ses mains sur les gardes. Son maître ne
pouvait s'empêcher de le regarder : il avait de la présence. A dix-huit
ans, pleinement développé, il était plus grand que le Barbier de deux mains,
mince et large d'épaules, avec une crinière brune et bouclée, de grands yeux
bleus plus changeants que la mer, un visage large aux mâchoires solides, qu'il
tenait soigneusement rasé. Le voyant tirer à demi puis remettre au fourreau
cette épée, signe de sa liberté, le Barbier frémit d'un orgueil qui n'était pas
exempt d'une indéfinissable appréhension. Peut-être de la peur.
17. LE NOUVEAU CONTRAT
La première fois que Rob entra dans une taverne avec ses armes, il sentit la
différence : les hommes ne se montraient pas plus respectueux, mais plus
attentifs et plus prudents. Le Barbier ne cessait de le mettre en garde ;
la colère, disait-il, est un des péchés capitaux. Il lui décrivait sans fin les
jugements par ordalie où l'accusé doit prouver son innocence en saisissant un
fer rouge ou en avalant de l'eau bouillante.
« Pour
qui est convaincu de meurtre, c'est la corde ou le billot. Souvent on passe des
lanières sous les tendons des chevilles pour attacher l'assassin à la queue de
bœufs sauvages sur qui on lâche des chiens »
« Seigneur,
pensait Rob, le Barbier n'est plus qu'une vieille femme geignarde. Croit-il que
j'irais massacrer les gens ? »
A Fulford il
s'aperçut qu'il avait perdu la monnaie romaine que son père lui avait donnée,
et devint d'une humeur farouche. Il se fit casser le nez dans une querelle
d'ivrognes avec un Ecossais ; le Barbier le lui redressa tant bien que mal
et l'accabla de
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