Le médecin d'Ispahan
Crève-lui l'autre œil ! »
L'ivrogne
visait l'énorme tête quand Rob lui arracha la lance des mains.
« Brave
Godiva », dit-il, puis il brandit l'arme et l'enfonça profondément dans la
poitrine de la bête, qui rejeta presque aussitôt un flot de sang.
Les gens
hurlèrent comme des chiens. Rob se laissa pousser dehors par le Barbier furieux
et Wat qui le traitait de « petit barbier merdeux ».
Le maître
d'arène annonça d'un ton apaisant qu'un nouveau combat opposerait bientôt un
blaireau à des chiens, et les protestations se changèrent en acclamations. Le
Barbier s'excusa auprès de Wat. Quand il revint au camp, d'un pas lourd, il but
la moitié d'un flacon puis s'affala sur son lit, le regard fixe.
« Tu es
un pauvre con, dit-il. Si les paris n'avaient pas déjà été payés, ils
t'auraient étripé et je n'aurais rien fait pour te défendre. »
Rob passa la
main sur la peau d'ours qui lui servait de lit : elle était de plus en
plus râpée, il faudrait bientôt la jeter.
« Allons,
bonne nuit, Barbier », dit-il.
16. LES ARMES
Le Barbier n'avait pas prévu que les choses se gâteraient entre Rob et lui ;
à dix-sept ans, l'ancien apprenti restait ce qu'il avait été enfant :
travailleur et facile à vivre. Mais, en affaires, il discutait comme une
marchande de poisson. A la fin de la première année, il réclama le douzième des
gains au lieu du vingtième. Le Barbier grogna, puis céda : c'était mérité.
Il avait
remarqué que Rob dépensait peu ; il mettait presque tous ses gains de côté
pour acheter des armes. Un soir d'hiver, dans la taverne d'Exmouth, un
jardinier lui proposa une dague.
« Votre
avis ? demanda-t-il en tendant l'arme au Barbier.
– La lame en
bronze ne tiendra pas ; le manche paraît bon, mais cette peinture criarde
peut cacher des défauts. »
Rob rendit le
médiocre couteau. Au printemps, le long des côtes, il chercha des Espagnols
dans les ports, sachant que les meilleures armes venaient de chez eux, mais il
n'acheta rien avant d'avoir gagné l'intérieur des terres.
Un matin de
juillet, à Blyth, ils découvrirent en s'éveillant Incitatus couché par terre,
froid et déjà raide. Rob regarda tristement le cheval mort ; le Barbier au
contraire s'extériorisa en jurant. Tandis que l'un creusait une large fosse
pour ne pas laisser ce vieux Tatus aux chiens et aux corbeaux, l'autre lui
trouvait un remplaçant ; il y mit du temps et de l'argent car l'affaire
était capitale. Enfin il acheta une jument baie de trois ans.
« On
l'appelle aussi Incitatus ? » demanda-t-il, mais Rob secoua la tête
et la bête n'eut jamais d'autre nom que « Cheval ». Elle avait le pas
aisé, mais elle perdit un fer le premier matin, et il fallut retourner à Blyth
pour le remplacer.
Ils trouvèrent
le forgeron, Durman Moulton, occupé à finir une épée qui leur fit écarquiller
les yeux.
« Combien ?
demanda Rob avec une fougue qui choqua le Barbier, plutôt porté aux longs
marchandages.
– Elle est
vendue », dit l'homme, mais il les laissa la prendre en main pour en
éprouver l'équilibre. C'était une arme anglaise faite pour frapper de taille,
sans ornement, fine, loyale et admirablement forgée. Plus jeune et moins mûri,
le Barbier se serait laissé tenter.
« Combien
pour la même, plus une dague assortie ? »
C'était plus
que Rob ne gagnait en un an.
« Et vous
devez payer la moitié maintenant pour confirmer la commande », dit
Moulton.
Le jeune homme
alla chercher une bourse dans la charrette et lui compta vivement l'argent.
« Nous reviendrons
dans un an prendre les armes et verser le reste. »
La saison
n'était pas finie que Rob réclamait un sixième des bénéfices. Le Barbier
s'indigna puis réfléchit. Il avait entendu une femme dire à son amie :
« Choisis plutôt le jeune barbier, on dit qu'il a une bonne main. »
Il finit par proposer le huitième et, à son grand soulagement, Rob accepta.
Toujours
soucieux d'améliorer son spectacle, il avait inventé un nouveau
personnage : un vieux débauché qui buvait du Spécifique et se mettait
aussitôt à lutiner les femmes de l'assistance. Rob refusa d'abord de jouer le
Vieux mais il dut céder devant l'entêtement du Barbier. Grimé, avec une
perruque et de fausses moustaches grises, vêtu de hardes, il marchait tout
courbé en traînant une jambe, et jouait toute une comédie plaisante en
déguisant sa voix. Il se trouvait même sans bourse délier
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