Le médecin d'Ispahan
s'en prendre à des gaillards
comme nous. »
Après des
siècles d'invasions sanglantes, chaque Anglais pensait en soldat. Le port des
armes était interdit aux esclaves et les apprentis n'avaient pas les moyens
d'en acheter ; les autres mâles, outre les cheveux longs, affichaient
leurs armes comme une preuve de liberté. Et il est vrai, songeait le Barbier
soudain las, qu'un petit homme avec une lame tuera plus sûrement qu'un costaud
désarmé.
« Tu dois
savoir te servir d'une arme quand sera venu pour toi le temps d'en porter.
C'est une partie de ton éducation qui a été négligée. Je vais t'enseigner l'art
de la dague et de l'épée.
– Merci,
Barbier », dit Rob, rayonnant.
Dans une
clairière, le maître, comme il l'avait fait pour la jonglerie, expliqua la
manière de tenir chaque arme, les gestes précis pour la manier efficacement,
les attitudes du corps. Et, surpris de l'aisance avec laquelle son élève
faisait tournoyer la lourde épée, il le vit non sans appréhension se lancer à
travers la clairière et pourfendre en hurlant un ennemi imaginaire.
La leçon
suivante eut lieu quelques nuits plus tard, dans une taverne de Fulford, pleine
d'une foule bruyante. Les meneurs de troupeaux de deux caravanes, les uns
anglais, les autres danois, buvaient en se regardant comme deux bandes de
chiens de combat. L'un des Danois avait un cochon, attaché par le cou au bout
d'une corde dont il fixa l'autre extrémité à un poteau au milieu de la salle.
Il défia alors l'homme assez courageux pour mener avec lui une chasse à la
dague, après s'être fait bander les yeux. Un Anglais, Dustin, ayant accepté, on
acclama les adversaires et l'on prit des paris, tandis que d'autres, prudents,
vidaient leurs verres avant de s'éclipser. Le Barbier retint son élève qui semblait
prêt à les suivre.
On banda les
yeux des concurrents et chacun fut relié au même poteau par une longue corde
nouée à l'une de ses chevilles. Ils burent encore et tirèrent leurs dagues.
Le cochon
tournait en rond et, dès qu'il cria, les deux hommes, le repérant au son, s'en
approchèrent sans se voir : Vitus, le Danois, leva son arme sur l'animal,
et Dustin, avec un soupir, sentit la lame déchirer son bras. Ils s'insultèrent.
Enfin, le porc blessé criant sans cesse devint une excellente cible, mais la main
de Dustin manqua son but, et sa dague s'enfonça jusqu'à la garde dans le ventre
de Vitus, qui s'affaissa avec un sourd grognement.
On n'entendait
plus dans la taverne que les braillements du cochon. Les Danois, sans un mot,
emportèrent leur camarade ; aussitôt le Barbier et Rob se frayèrent un
chemin pour tenter de lui porter secours, mais il n'y avait plus rien à faire.
L'homme perdait ses entrailles, mêlées d'excréments et de sang.
« Pourquoi
le ventre ouvert d'un homme sent-il plus mauvais que celui d'un
animal ? » dit le Barbier en retenant Rob près du mourant comme on
met dans son urine le nez d'un jeune chien.
Ils
continuèrent à pratiquer les armes, mais l’élève, plus réfléchi, avait quelque
peu apaisé sa fougue.
A Salisbury,
il chercha en vain des traces d'Anne Mary et du boulanger Haverhill, comme,
dans les abbayes rencontrées en chemin, il s'était enquis ans succès du père
Lovell et de William, son protégé. Alors il sentit que sa famille était perdue
pour toujours, et comprit avec un frisson que, quoi qu'il arrive désormais,
c'est tout seul qu'il faudrait affronter.
15. LE COMPAGNON
Quelques mois avant la fin de l'apprentissage, ils s'installèrent devant des pichets de
bière brune, dans la taverne d'Exeter, pour discuter des conditions d'emploi.
Le Barbier buvait en silence, perdu dans ses pensées, et finit par proposer un
maigre salaire.
« Avec un
costume neuf en plus », ajouta-t-il, comme dans un élan de générosité.
Rob le
connaissait bien, depuis six ans qu'il vivait avec lui.
« Je
ferais mieux de retourner à Londres », dit-il en haussant les épaules,
puis il remplit leurs gobelets.
Le Barbier
l'observait en hochant la tête.
« Un
costume tous les deux ans, que tu en aies besoin ou non ! »
Ils
commandèrent une tourte au lapin que Rob mangea avec appétit. Le gros homme
s'en prit violemment au tavernier :
« Cette
viande est dure et mal assaisonnée ! » grogna-t-il, et il
poursuivit : « On pourrait augmenter un peu le salaire... Un petit
peu.
– Elle est maigrement
assaisonnée, dit Rob, c'est une chose que vous ne faites
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