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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Noah Gordon
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reproches. On se tenait à distance, désormais, de ses poings,
de ses armes et de son visage cousu de cicatrices.
    Après le
spectacle, un jour à Newcastle, comme il revenait à la charrette encore grimé
et déguisé en Vieux, il trouva son maître en discussion avec un grand maigre.
    « Je vous
suis depuis Durham, disait l'homme. Vous rassemblez les foules, c'est ce qui
m'intéresse. Voyageons ensemble et partageons les gains.
    – Je ne
travaille pas avec les voleurs, répondit le Barbier.
    – Tu n'as pas
le choix, fit l'autre.
    – C'est lui
qui choisit ! coupa Rob, à qui l'inconnu ne jeta qu'un coup d'oeil,
    – Tais-toi,
Vieux, ou gare à toi... »
    Mais voyant le
faux vieillard redressé et marchant sur lui, le voyou sortit un couteau.
Aussitôt jaillie de son fourreau, la dague lui traversa le bras, et Rob, en la
retirant, s'étonna de voir couler tant de sang de cet échassier décharné. Sans
écouter le Barbier qui voulait le panser, le voleur s'échappa.
    « A
saigner comme ça, il va se faire remarquer et, s'il est pris, il nous
dénoncera. Filons. »
     
    Hors
d'atteinte, ils s'arrêtèrent pour allumer un feu et dîner de navets froids qui
restaient de la veille.
    « A deux,
on pouvait en venir à bout sans couteau, dit le Barbier.
    – Il avait
besoin d'une leçon.
    – Ecoute, tu
deviens dangereux. »
    Rob se
rebiffa : il avait voulu défendre le gros homme, et de vieux griefs
nourrissaient sa colère.
    « Vous
n'avez jamais pris aucun risque pour moi. Notre argent, c'est moi, maintenant,
qui le gagne ! Et bien plus que ce filou n'en a jamais trouvé sous ses
doigts crochus.
    – Tu deviens
un danger et un boulet », dit le Barbier d'un ton las.
    La dernière
étape du voyage les mena à l'extrême frontière du Nord, où l'on ne savait plus
qui était Anglais ou Ecossais. Devant leur public, Rob et le Barbier faisaient
toujours équipe mais hors de l'estrade gardaient un silence glacial, rompu
seulement par des querelles. Le temps était passé où le maître levait la main
sur son élève, mais, quand il avait bu, il l'abreuvait d'insultes ordurières.
    « ... Un
fumier, un orphelin merdeux... Qu'est-ce que tu serais devenu sans
moi ? »
    Un soir, à
Lancaster, près d'un étang d'où montait une brume couleur de lune avec des
tourbillons d'éphémères, Rob excédé allait remplir son gobelet dans la
charrette quand la terrible voix l'interpella :
    « Rapporte-moi
un flacon, bon Dieu ! »
    Il allait
grogner : « Va le chercher toi-même ! », quand il avisa
dans un coin les fioles de la cuvée spéciale. Il en prit une qu'il tendit au
Barbier. Il le vit l'ouvrir, la porter à sa bouche... Il était encore temps de
l'arrêter d'un mot. Mais il laissa faire homme ivre, qui but jusqu'au bout,
jeta le flacon et s'endormit comme une masse.
    « Pourquoi
ça ne me fait-il aucun plaisir ? » se dit le jeune homme, sans
pouvoir trouver le sommeil, jusqu'au matin. Oui, il y avait deux hommes dans
Barbier : l'un cordial et bon, l'autre vil ; quand il était soûl,
seul émergeait le second. Avec une lucidité soudaine, comme un éclair dans une
nuit noire, Rob comprit qu'il vivait lui aussi cette même dégradation. Il
frémit et se rapprocha du feu, en proie à une profonde détresse.
    Dès l'aube, il
retrouva le flacon vide et le cacha dans le bois ; puis il ranima les
flammes pour réparer un copieux petit déjeuner.
    « Je me
suis mal conduit, dit-il au Barbier, et... vous demande pardon. »
    L'autre,
stupéfait, acquiesça en silence. Ils attelèrent Cheval et roulèrent sans rien
dire une partie de la matinée. De temps à autre, Rob sentait sur lui le regard
pensif de son compagnon.
    « J'ai
bien réfléchi, dit enfin le Barbier. La saison prochaine, tu continueras sans
moi. »
    Se sentant
coupable d'avoir eu la même pensée la veille, le garçon protesta :
« C'est cette sacrée boisson qui nous rend fous. Il faut y renoncer et
tout ira bien comme avant. »
    Le maître
parut touché mais il secoua la tête.
    « L'alcool
ne fait pas tout. Tu es un jeune cerf qui a besoin d'essayer ses bois, et moi
je suis trop vieux. Trop gros aussi et je manque de souffle. Rien que grimper
sur l'estrade me prend toute mon énergie ; il m'est chaque jour plus
difficile d'assurer jusqu'au bout le spectacle. J'aimerais demeurer à Exmouth
désormais, profiter de l'été, m'occuper du potager, sans parler des plaisirs de
la cuisine. Pendant ton absence, je peux préparer une

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