Le médecin d'Ispahan
plus tard, elle comprendrait qu'il l'avait trouvée
différente de toutes les filles qu'il avait connues. Lui aussi était différent
des autres garçons.
« Tu t'es
occupé de moi plus que de toi-même », lui dit-elle.
Elle lui
caressa le visage et il retint sa main pour en baiser la paume.
« Beaucoup
d'hommes ne sont pas comme ça, je le sais.
– Il faut
l'oublier, maintenant, ce sacré cousin de Kilmarnock ! »
32. L'OFFRE
Rob se fit quelques clients parmi les nouveaux venus et s'amusa d'apprendre que
Kerl Fritta se vantait d'avoir dans sa caravane un excellent
barbier-chirurgien. Le Franc, hélas, était mort de sa tumeur, comme il l'avait
prévu, au cours de l'hiver à Gabrovo. Il en parla avec Mary.
« J'aime
soigner ce que je peux guérir : une fracture, une blessure ouverte...
C'est le mystère que je déteste : ces maladies inexplicables qui défient
tout traitement. Ah ! Mary, je ne sais rien. Mais ils n'ont que
moi ! »
Sans bien
comprendre tout ce qu'il voulait dire, elle essaya de le réconforter. Elle
s'inquiétait de souffrir pendant ses règles, car sa mère, un été, avait vu les
siennes tourner à l'hémorragie. Mary avait eu tant de chagrin de sa mort
qu'elle ne pouvait même pas pleurer ; et maintenant elle craignait d'être
atteinte à son tour.
« Ce
n'étaient pas des pertes normales, mais quelque chose de plus grave, tu le sais
bien », dit Rob, en posant sur son ventre une main apaisante et en la
consolant avec des baisers.
Quelques jours
plus tard, assis près d'elle dans la charrette, il lui raconta ce qu'il n'avait
dit à personne : la mort de ses parents, la dispersion, puis la
disparition des enfants. Elle se mit à pleurer ans pouvoir s'arrêter.
« Comme
je t'aime ! soupira-t-elle.
– Je t'aime
aussi, s'entendit-il répondre, pour la première fois de sa vie.
– Je voudrais
ne jamais te quitter. »
En chemin,
désormais, ils échangeaient de loin un signe secret : les doigts de la
main droite effleurant les lèvres comme pour chasser un moucheron. Cullen buvait
toujours et, quand elle le voyait lourdement endormi, Mary s'échappait pour
retrouver son amant. C'était dangereux, disait Rob, car la nuit les sentinelles
sont nerveuses. Mais elle n'en faisait qu'à sa tête et il en était très
heureux. Elle apprenait vite et bientôt leurs corps n'eurent plus aucun secret
l'un pour l'autre. Il cherchait avant tout à lui donner du plaisir, surpris et
troublé de ce qui lui arrivait.
En Thrace, les
pâturages remplacèrent les champs de blé, les troupeaux de moutons se multiplièrent
et James Cullen revint à la vie. Il galopait sans cesse avec Seredy pour aller
parler aux bergers. Un soir, il vint trouver Rob, s'assit devant le feu et
toussota.
« Il ne
faudrait pas croire que je suis aveugle.
– Je ne l'ai
jamais pensé, dit le barbier avec respect.
– Parlons de
ma fille. Elle est instruite, elle connaît le latin.
– Ma mère le
savait, elle m'en a enseigné un peu.
– Mary le
parle bien et c'est utile à l'étranger quand on a affaire aux fonctionnaires ou
aux gens d'Eglise. Je l'avais envoyée chez les nonnes de Walkrirk, qui
espéraient la garder. Mais, moi, je rêvais déjà à l'Orient et aux moutons. Je
m'y connais en moutons. On a cru que je partais pour oublier mon chagrin, mais
c'était plus que ça. »
Le silence
s'épaissit entre eux.
« Tu as
déjà été en Ecosse, mon gars ?
– Non. Je n'ai
jamais dépassé le nord de l'Angleterre : les Cheviot.
– Ce n'est pas
loin de la frontière, mais l'Ecosse c'est autre chose : plus haut, plus
accidenté, avec des montagnes pleines de ruisseaux poissonneux et de l'eau
partout pour nourrir les herbages. Notre domaine est dans les collines.
Beaucoup de terre et de grands troupeaux. »
Il se tut un
moment, comme pour chercher ses mots.
« Celui
qui épousera Mary s'en occupera, s'il en est capable. Nous serons à Babaeski
dans quatre jours, continua-t-il en se penchant vers Rob. Là, ma fille et moi
nous quitterons la caravane pour obliquer vers la ville de Maikara, au sud, qui
a un important marché de bétail ; je compte y acheter des moutons. Puis
nous traverserons le plateau d'Anatolie, où je mets tous mes espoirs. Je serais
heureux que tu nous accompagnes. »
Il examina Rob
avec un soupir.
« Tu es
fort et plein de santé. Tu as du courage, sinon tu ne te serais pas risqué si
loin pour travailler et te faire une position dans le monde. Tu n'es pas ce
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