Le médecin d'Ispahan
que
j'aurais choisi pour elle, mais c'est toi qu'elle veut. Je l'aime et je veux
son bonheur car je n'ai qu'elle.
« Maître
Cullen... », commença Rob, mais l'autre l'arrêta.
« Ce
n'est pas une décision à prendre à la légère. Tu dois y réfléchir, mon garçon,
ainsi que je l'ai fait moi-même. »
Cole remercia
poliment, comme si on lui avait offert une pomme ou une sucrerie, et le père de
Mary retourna à son campement.
Ce fut une
nuit sans sommeil, passée à contempler le ciel. Il ne rencontrerait jamais une
femme pareille – et qui l'aimait ! Et une terre , bon Dieu, une
terre. On lui offrait une vie que son père n'aurait même pas rêvée pour
lui : le travail et la subsistance assurés, le respect et la
responsabilité. Des biens à transmettre aux fils. Une femme amoureuse, au point
qu'il n'en revenait pas, et l'avenir d'un de ces rares privilégiés : ceux
qui possèdent des terres.
Le lendemain,
Mary vint pour lui couper les cheveux avec le rasoir de son père.
– Pas autour
des oreilles.
– C'est
justement là qu'ils sont le plus emmêlés, et pourquoi tu ne te rases pas ?
Tu as l'air d'un vrai sauvage.
– Je
m'occuperai de ma barbe quand elle sera lus longue... Tu sais que ton père est
venu me parler ?
– Il m'avait
parlé d'abord.
– Je n'irai
pas avec vous à Malkara.
– Tu nous
rejoindras ailleurs ?
– Non, dit-il,
en faisant effort pour parler sans détours. Je vais en Perse, Mary.
– Tu ne veux
pas de moi... »
Il comprit à
son désarroi qu'elle n'avait pas revu ce refus.
« Si.
Mais j'ai beaucoup réfléchi et ce n'est pas possible.
–
Pourquoi ? Tu as une autre femme ?
– Non, non. Je
vais à Ispahan, en Perse. Pas pour faire du commerce, comme je te l'ai dit,
mais pour apprendre la médecine. »
Elle parut
stupéfaite : que valait la médecine, en comparaison du domaine
paternel ?
« Je veux
être médecin, dit Rob, se sentant tout à coup comme honteux de lui-même sans
savoir pourquoi.
– Ton métier
ne te rend pas heureux, tu me l'as dit.
– C'est mon
ignorance qui me tourmente. A Ispahan, j'apprendrai à aider ceux pour qui,
jusqu'à présent, je ne peux rien.
– Je peux
aller avec toi ? Mon père achètera ses moutons là-bas. »
Il fallait
rester ferme, expliquer que l'Eglise interdit de fréquenter les écoles
islamiques... Et, finalement, il lui dit tout.
« Tu seras
damné ! s'écria-t-elle en pâlissant... Un Juif ! »
Elle essuya le
rasoir et le rangea dans son étui.
« Tu
comprends que je dois rester seul ?
– Ce que je
comprends, c'est que tu es fou ! Je ne sais rien de toi... De toutes les
femmes que tu as déjà abandonnées peut-être... Je pourrais tout dire à mon
père, te faire condamner à mort en dénonçant le mauvais chrétien qui se moque
de la sainte Église !
– Je t'ai dit
la vérité. Je ne veux ni te tromper ni risquer ta vie. Tu dois agir de même
avec moi.
– Je n'attendrai
pas un médecin », dit-elle.
Il hocha la
tête, furieux contre lui-même de l'amertume qu'il lisait dans ses yeux.
Toute la
journée, elle se tint droite sur sa selle, sans se retourner. Le soir, il la
vit s'entretenir longuement avec son père : elle lui faisait part
évidemment de sa décision de ne pas se marier car, un peu plus tard, Cullen
adressait au jeune Cole un sourire à la fois soulagé et triomphant. Puis il
donna des ordres à Seredy, qui lui amena deux hommes à la tombée de la nuit.
C'étaient sans doute des guides, turcs à en juger par leur costume, et le matin
suivant, les Cullen étaient partis.
Rob était
triste ; il se sentait un peu coupable, mais en même temps délivré. Au
fond, était-ce bien la médecine qui avait emporté sa décision, ou avait-il
aussi fui le mariage – comme le Barbier l'aurait fait ?
Quelque chose
était mort. Quand il arriva à Babaeski, il imagina ce qu'aurait pu être son
départ vers une nouvelle vie. Il ne pouvait oublier Mary. Mais le souvenir de
James Cullen le consolait de la solitude : il avait échappé à un beau-père
encombrant.
Deux jours
plus tard, dans un paysage de vertes collines, il entendit une sorte de
carillon, comme une musique d'anges, qui se rapprochait et il vit pour la
première fois passer un convoi de chameaux. Chacun portait des clochettes qui
accompagnaient en tintant le balancement de sa démarche. Ils étaient plus
grands que Rob ne s'y attendait : plus hauts qu'un homme et plus longs
qu'un cheval, avec une
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