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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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été repeinte en noir et Louis-Henri a fait remplacer les
quatre plumets aux angles du toit par de gigantesques ramures de cerf. Un grand
voile de crêpe enveloppe tout le carrosse, lui donne une apparence funèbre, et
les chevaux noirs sont parés comme pour un enterrement en grande pompe. Au
dessin de ses armes sur les portières, le Gascon a fait rajouter des cornes.

    Les gardes
impressionnés laissent passer le carrosse cornu qui vient se garer au centre de
la cour pavée. Le marquis, installé à l’intérieur de la caisse suspendue, en
descend revêtu des vêtements du grand deuil. Autant l’autre fois il avait longé
les murs en douce que, cet après-midi, son arrivée s’est pas discrète. Il porte
devant lui un chapeau retourné dont on ne voit que l’intérieur.
    Il grimpe les
marches qui mènent au château, passe devant des maris qui pousseraient bien
leurs femmes dans les bras du monarque pour en tirer des bénéfices Les façons
de ces gens-là, leurs bassesses... La crainte de déplaire au maître broie les
âmes, avilit les consciences, et le marquis de Saint-Maurice ricane :
    — J’ai
proposé au roi les services de ma propre épouse mais, hélas, elle ne lui plaît
guère. J’ai pourtant insisté : « Même pas, sire, comme les chevaux de
poste que l’on ne monte qu’une fois et que l’on ne revoit plus
jamais ? » « N’insistez pas, m’a répondu Sa Majesté, je préfère
la femme de Montespan. »
    Près de
Saint-Maurice, une comtesse tient dans son manchon un petit chien qui montre
les dents et aboie après le cocu récalcitrant. Louis-Henri tend un index vers
sa truffe et ordonne : « Couché, Molière ! »
    Dans la salle
des pas perdus, le décor est somptueux et le plafond tellement chargé de
guirlandes et autres voluptueuses déesses que les visiteurs craignent qu’il ne
leur en tombe sur la tête.
    Il va être
dix-sept heures, Louis-Henri attend que le monarque sorte de son Conseil. Les
courtisans, affolés par une pareille audace, s’éloignent. Le marquis reste seul
face à la porte par où va sortir le roi. Visage fermé, la main sur le pommeau
de son épée, s’il avait présentement un verre d’eau sur la tête il n’en
tomberait pas une goutte car il la tient plus droite qu’un cierge.
    Le roi sort.
Montespan le savait peu grand mais pas à ce point-là. Il est de très petite
taille qu’il tente de compenser par une raideur. Les pieds chaussés dans des
souliers à talons hauts, une fine moustache barre son visage. Ensuite le
marquis ne distingue plus ses traits car Louis le quatorzième, dos à une
fenêtre, s’est arrêté juste devant le soleil. À contre-jour et ministres
gravitant autour de lui, après un court silence, la silhouette rayonnante du
monarque demande au Gascon :
    — Pourquoi
tout ce noir, monsieur ?
    Alors que
l’étiquette commande de se découvrir devant Sa Majesté, Louis-Henri se coiffe
maintenant d’un chapeau gris  – le roi les déteste  – et
répond :
    — Sire,
je porte le deuil de mon amour.
    — Le
deuil de votre amour ?
    — Oui
sire, il est mort pour moi. Une canaille l’a tué.
    Il faut avoir
une marque du sang échauffé, le cerveau modelé d’une autre manière que le
commun des hommes, pour oser, dans cette universelle ruée vers la servitude la
plus rampante, élever la tête au-dessus des dos courbés et accuser l’idole en
face.
    Les hauts
personnages, à l’autre bout de la salle des pas perdus, en sont glacés de
terreur. Le bouillant Gascon a dépassé les bornes. Louis XIV ne pourra tolérer cette insulte
directement adressée à lui  – ce crime de lèse-majesté.
    Le marquis,
ayant dit, s’incline en une révérence arrogante et devant les courtisans, âme
trop amoureuse, il brise son épée à la face du tyran pour ne plus le servir.
Puis il tourne le dos au roi avec la plus grande désinvolture. Le bruit
décroissant de ses talons va sur le parquet ciré et il regagne son carrosse.
    Pareille
conduite est inimaginable. Jamais personne ne s’est permis une telle incartade
devant Sa Majesté. Tout : feu, eau, nuit, jour, est soumis à la volonté de
ce dieu vivant au visage un peu grêlé par la petite vérole. Le roi ne dit rien
et ce silence déclare assez la qualité du crime commis, puis il
s’esclaffe :
    — Eh bien
quoi, je baise sa femme ! Que pourrais-je faire de plus pour lui ?
    Tout le monde
autour rit, forcément d’accord. Le carrosse cornu ne parcourt pas beaucoup

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