Le Monstespan
de
chemin avant que les argousins du roi le rattrapent. Lauzun chevauche en tête
et vient, dans la poussière tourbillonnante, se porter à la hauteur de la
portière du marquis à qui il crie, au galop :
— Que
votre cocher continue et conduise cette berline jusqu’à la rue Taranne, mais il
devra d’abord s’arrêter pour vous laisser devant Fort-l’Évêque !...
— La prison
de la Vallée de la Misère ?
— J’ai
pour vous une lettre de cachet qui autorise le roi à faire emprisonner
quiconque lui déplaît, cela pendant une période indéterminée et sans
jugement !
25.
Le roi m’a
fait cocu ! Dessus mon âme,
J’admire
mon bonheur.
J’irai
bientôt, le tout grâce à ma femme,
Au plus
haut point d’honneur !
Dans l’étroite
prison insalubre du quai de la Mégisserie – surnommée Vallée de la
Misère en raison du grand nombre d’animaux qu’on y fait mourir
— Montespan a le sang aux ongles sous les plus sûres serrures. Par un haut
soupirail, un rai de lumière dépose une petite tache de clarté poudreuse sur le
sol en terre de ce puits sec qui sert de cachot au marquis à Fort-l’Évêque.
L’isolement ne parvient pas à calmer ses tourments. Chaînes de fer aux bras,
aux jambes, tandis que dehors les bêtes qu’on tue crient de douleur, lui,
chante à tue-tête les derniers couplets qui narrent au peuple les amours du
roi :
Cocu d’un
roi, le fait est honorable,
Peste, je
le sais bien.
Un noir
chagrin serait très condamna-able :
Ce serait
fuir le bien !
— Mais
taisez votre gueule ! Ah, que vous chantez faux !... Je préfère
encore ouïr le hurlement des bêtes qu’on égorge. J’ai l’oreille musicale,
moi !
Louis-Henri se
tourne dans tous les sens à l’intérieur de la cellule noire :
— Il y a
quelqu’un ?
Une voix lui
répond dans l’obscurité :
— Oui, il
y a quelqu’un qu’on a jeté dans cette prison, mais pour quelle
raison ? !... Je ne suis ni écrivain libertin, ni bourgeoise
dévergondée, ni joueur endetté. Je n’ai pas assez de folie pour avoir commis un
crime de lèse-majesté. Alors qu’est-ce que je fais à Fort-l’Évêque, la prison
d’ordres du roi ? ! Si maintenant, en plus, on m’inflige comme
codétenu un aussi mauvais chanteur...
Un silence
règne dans le cachot puis Louis-Henri, enchaîné et à genoux, se traîne sur la
paille moisie jusque dans le faible rayon de clarté. Il cherche dans la noirceur
son interlocuteur :
— Où
êtes-vous ?
La voix de
l’autre reprend :
— C’est
vrai, quoi ! Je ne suis qu’un accoucheur qui fait son travail, alors
pourquoi j’ai atterri ici ? C’était la fin d’après-midi. J’étais seul chez
moi, rue Saint-Antoine. J’allais bientôt souper quand ça frappe à la porte.
J’ouvre. Cachés sur les côtés, deux soldats (j’ai perçu le cliquetis de leurs
armes contre des boutons d’uniforme) me saisissent les bras. Un troisième homme
arrivé par-derrière me bande les yeux et m’ordonne : « Pas un cri ou
je vous égorge. Monsieur Clément, prenez votre valise d’instruments. »
Parbleu ! me dis-je, je ne crains rien. Ne suis-je pas habitué à ces
petites expéditions mystérieuses chez les gens de condition en un temps où mes
jeunes clients arrivent parfois au monde comme ils peuvent ? On me fait
monter dans un carrosse de cour (j’ai discerné le délicat grincement des moyeux
huilés comme à Versailles) et, après avoir roulé, on me dépose au pied d’un
escalier que je gravis, guidé par une nourrice (un hochet à grains de millet
battait contre sa poitrine). Et je pénètre dans la chambre au premier étage de
cette maison discrète en retrait de la rue de l’Échelle.
— Comment
connaissez-vous l’adresse si vous aviez les yeux bandés ?
— Je
n’avais pas les oreilles bouchées...
Des chaînes
s’étirent au sol et le visage de l’accoucheur Clément entre aussi un peu dans
le faible rai de clarté :
— J’ai
reconnu, tout près, l’insupportable timbre de la cloche fêlée de la chapelle
Sainte-Agonie. J’y étais allé un matin pratiquer une naissance (miraculeuse,
sûrement) et avais râlé après les sœurs : « Il faudra changer cette
cloche qui sonne faux sinon, moi, je ne reviendrai plus, dans ce boucan
d’enfer, faire naître des petits Jésus ! » Et puis je sais aussi que
c’est en retrait de la rue parce que résonnaient en bas les coups de marteau
d’un
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