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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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titubant
et veut à nouveau gravir les barreaux pour se rejeter dans le vide. Montespan
stoppe sa progression en saisissant la jeune femme par la taille.
    « Mais
que se passe-t-il ? » La cuisinière en voile de mariée, talonnée par
le colporteur, file dans la grange vers sa fille : « Que t’est-il
arrivé ? » Cartet apparaît à son tour, un godet à la main, alors que
les invités de la noce, n’ayant rien entendu, continuent de se restaurer de
boyaux d’oiseaux et que l’orchestre local accorde ses instruments à roue :
« Rouiiin !... »
    — Maman,
je suis pleine !... avoue Dorothée en sanglotant dans les bras du marquis.
    — Quoi ? !
Est-ce vous, Monsieur, qui..., fronce subitement des yeux la nouvelle mariée
vers celui qui enlace sa fille.
    — Oh, ça
va, madame Larivière ! s’énerve Montespan.
    — Cartet !
Mme Cartet !... Si ça ne vous dérange pas.
    — Bon, si
vous voulez, mais vous avez déjà failli me faire enfermer à Pignerol.
    — Alors
qui, Dorothée ? Brehaigne ! l’injurie la cuisinière dont la
marguerite artificielle tremble au voile. Qui t’a engrossée ? Le nom de ce
saligaud du village ! Mon mari lui arrachera sa tête !
    — La tête
de que, qui ? bredouille le gros concierge aux yeux brillants des apéros
pris en compagnie des gueux.
    Dorothée
s’explique dans le parfum aux odeurs de réglisse et de fleur d’oranger des
habits soyeux du marquis :
    — Je me
suis jetée sur le ventre pour provoquer une fausse couche. Maman ! il
m’avait dit : « Quelle grâceextrême ! Quel port
glorieux ! Où voit-on des déesses qui soient faites de
même ?... »
    — Mais
qui ?
    — Sur le
parquet, il m’a fait glisser un pas de menuet avec une grâce propre à émouvoir
un cœur sous la robe...
    — Mais
qui ça ?
    — Le
monsieur qui avait de magnifiques chaussures incrustées de perles et de
diamants.
    — Lauzun ? !
    Montespan en
est sur le cul.
    — Maman !
supplie la jeune femme enceinte à la peau moite dans sa chaste robe, il me faudrait
des bains de siège dans des décoctions d’ergots de seigle, de racines de rue,
feuilles de genévrier, pour faire passerl’enfant... mais il n’y en a
plus ! Prends une aiguille à tricoter et crève-le, toi !
    — Ça ne
va pas, non ? s’indigne le Gascon. Pour mourir dune hémorragie ? On
pourra bien l’élever quand même, ce petit ! Alors pourquoi le faire
passer ?
    — Parce
qu’une fille doit demeurer comme un vase scellé jusqu’à son mariage !
proclame, sentencieuse, la cuisinière.
    — C’est
vous qui dites ça, madame... Cartet ? s’étonne le marquis.
    — Au
fait, oui. Et nous, on le sait qui est le père de notre fille ? demande
soudain le concierge hébété à sa femme.
    Le colporteur,
assistant à la scène, se veut rassurant en rappelant qu’il n’y a pas que dans
cette grange qu’on trouve des mystères, des chutes et des
rebondissements :
    — Par
exemple à Versailles, circule une parodie de Notre Père, encore
inimaginable il y a quelques mois, qui se termine par :
« Délivre-nous de la Montespan. » Ceux qui la portaient aux nues
hier, la traitent plus bas que terre aujourd’hui. Même Racine qui lui doit tout
la bafoue publiquement dans son Esther  – comédie qui raconte la
chute de la Montespan et la montée de la Maintenon. Encore un bel exemple
d’ingratitude ! Mais les gens disent que le roi, depuis l’opération de sa
fistule anale, a maintenant plus besoin d’une infirmière que d’une pute. Sourde
et perfide comme une eau souterraine, la Maintenon est surnommée :
« Mme de Maintenant ». La faveur de la veuve Scarron croît et celle de
votre épouse, monsieur le marquis, diminue à vue d’œil. Un matin, la Maintenon
a croisé la Montespan dans l’escalier : « Quoi, vous descendez
madame, moi, je monte. » Un soir, Sa Majesté, allant vers la chambre de la
Maintenon, a laissé son chien Malice dans celle de votre épouse :
« Tenez madame, voilà votre compagnie, c’est assez. »
    Louis-Henri
serre les poings :
    — Je
crèverai les yeux de tous ceux qui font autant de mal à Françoise !...

 
50.
     
     
    — Ah,
vous m’auriez entendu, maître Jean Sabatel. il y a une année et demie, dès le
lendemain du mariage de mon concierge avec la cuisinière, je me suis
écrié : « Françoise entre en disgrâce. Elle va revenir ! On va
faire des travaux pour l’accueillir ! » N’est-ce pas madame

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