Le Monstespan
gelée.
« Lauzun ? »
Montespan n’en revient pas : « Vous ici, mais que me vaut ? Et
comment cela va-t-il depuis tout ce temps ? »
— Je fus
un peu condamné à vie au fort de Pignerol, dit le visiteur en lourd manteau de
fourrure, allant se réchauffer les mains au-dessus des flammes de la cheminée.
Je me suis échappé, on m’a repris et puis tout s’est arrangé. Me revoilà dans
les petits papiers du roi. Vous devriez prendre exemple sur moi..., sourit
Lauzun en pivotant et ouvrant son manteau sur un merveilleux habit de brocart
orné de rubans roses et dorés. Sa Majesté m’a donné la charge de colonel des
dragons.
— Des
dragons ?... répète le marquis. Avez-vous soif ou faim ? Je crois que
la marmite contient un reste du potage où nagent des croûtons de pain de
fougère.
— Juste
un peu de vin chaud, s’il vous plaît madame, demande le colonel à la
cuisinière. Bonsoir mademoiselle, fait-il à Dorothée qui ne le quitte pas des
yeux.
Il salue le concierge
en s’asseyant près de lui sur le banc. Petit homme droit à la perruque
blondasse piquée de neige coulant sous un feutre à large bord planté sur la
tête, sa mine rechigne et, à son côté,il porte une besace qu’il
ouvre :
— À
propos de dragons, depuis Versailles et juste avant l’hiver, j’en avais envoyé
quatre se promener dans votre bois... C’est tout ce que j’ai retrouvé
d’eux ! poursuit-il en sortant de sa besace une vertèbre humaine qu’il
dépose sur la table.
— Ce
n’est pas tellement..., se doit de reconnaître Montespan impavide.
— Vous
avez trouvé ça où exactement ? demande Cartet intéressé.
— Bien
après le bois du marquis, dans l’immense forêt à peu près entre ici et le col
de Bielsa.
L’ancien
maréchal des logis se tourne complètement vers le visiteur et l’observe, épaté.
— À côté,
il y avait aussi cela, dit Lauzun en mettant sur la table une omoplate
traversée d’une arme blanche.
— Vous
comptez encore sortir beaucoup de cochonneries ? ! râle Mme
Larivière. C’est vrai, ça ne sert à rien de faire le ménage si...
— Non,
c’est tout. Il n’y avait rien d’autre.
— Oh,
vous avez vu, Cartet, mon couteau de chasse ! Je croyais l’avoir perdu.
Mais oui, c’est bien le mien. Regardez, il est gravé de mes armoiries avec les
cornes ajoutées. C’est le vent, la tempête qui l’aura emporté et jeté dans
l’os.
— C’est
vrai qu’on a eu du très mauvais temps, regrette le concierge. Une partie du
toit du castel s’est envolée. D’abord une gelée qui dura près de deux mois
rendit les rivières solides et les bords de mer capables de porter des
charrettes. Un faux dégel fondit les neiges qui avaient couvert la terre. Il
fut suivi d’un subit renouvellement de gelée encore plus forte que la
précédente trois autres semaines durant. La violence de cette seconde gelée
perdit tout. Les arbres fruitiers ont éclaté. Il ne reste plus ni noyers, ni
oliviers, ni vignes. Les bêtes sont mortes dans les étables et les gibiers dans
les bois. Les jardins périrent et tous les grains dans la terre. La désolation
de cette ruine est générale. Chacun resserre son vieux grain ; le pain
surenchérit à proportion du désespoir de la récolte à venir.
— Je
sais, dit Lauzun. Il en est de même partout en France, En Auvergne, la famine
est telle que les femmes dévorent leurs enfants morts. Pendant mon voyage, aux
relais de poste, j’ai vu arriver des gens si exténués et abattus de faim que
lorsqu’on leur tendait un croûton ils ne pouvaient pas même desserrer les dents
pour manger. Nous entrons dans des années sombres... La nouvelle persécution
des protestants, la dégradation du climat, les répercussions directes sur les
récoltes, le peuple écrasé par les impôts et la misère, les guerres ruineuses
allumées de tous côtés aux frontières.
— Ah
bon ? s’étonne Mme Larivière debout et les mains sur les hanches. Le roi
se lance dans des conflits ?
— À
Versailles, lui répond Lauzun sans se retourner vers elle, les travaux viennent
de cesser alors l’Europe s’inquiète car cela signifie que l’argent financera de
nouvelles guerres. C’est comme si le roi commençait à se lasser de quelque
chose..., poursuit le colonel en fixant Montespan.
Louis-Henri
regarde sur la table le moutardier – petit baril en faïence – près
de la vertèbre, le sel dans la coupelle en forme de
Weitere Kostenlose Bücher