Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
vient chaque jour
sur l’îlot guetter le retour de son amant. Hélas elle apprend la mort de celui
qu’elle aime et meurt de douleur à l’endroit même où elle avait reçu le premier
baiser du chevalier Montgommery. C’est ainsi qu’elle est enterrée dans cet îlot
qui, depuis, en sa mémoire, porte le nom de Tombelaine [58] .
Cette seconde version de la légende, à peu près
contemporaine de l’autre, car elle a été recueillie à la fin du XI e siècle, a été débarrassée de son contexte
fantastique et mythologique : il ne s’agit plus que d’une simple histoire d’amour,
très émouvante, mais complètement vidée de son sens. De toute façon, à travers
le personnage « romantique » d’Hélaine, se profile le visage d’un
Bélénos qui a encore ses caractéristiques féminines de divinité solaire. Hélaine
est morte d’amour en apprenant la mort de son amant exactement comme Yseult la
Blonde en apprenant la mort de Tristan. Et l’on sait qu’Yseult la Blonde n’est
autre que la transposition de l’héroïne irlandaise Grainné dont le nom provient
du mot gaélique grian qui signifie « soleil ».
La mythologie, si elle est officiellement écartée des récits légendaires, s’y
trouve souvent contenue sous des aspects qui pour être rassurants n’en sont pas
moins révélateurs.
Cependant, dans le récit de Geoffroy de Monmouth, Bedwyr, ému
de la détresse de la vieille femme, tente de la réconforter, puis il va rendre compte
de sa mission à Arthur. Le roi réclame comme un honneur qu’on le laisse aller
seul combattre le géant. Kaï et Bedwyr restent donc au pied du Mont, et Arthur
gravit la pente. « À ce moment, le monstre inhumain se tenait près du feu.
Son visage était couvert de sang caillé d’un grand nombre de cochons qu’il
avait mangés en partie. D’autres morceaux étaient en train de rôtir sur une
broche. » Le géant aperçoit le roi et se précipite sur lui en brandissant
sa massue. Arthur lève alors son épée et se protège de son bouclier. Il blesse
le géant au front. Celui-ci, « aveuglé par le sang qui dégoulinait, se
précipita cruellement comme un sanglier se précipite sur un chasseur, sa
défense en avant. Il saisit Arthur par le milieu du corps et le força à s’agenouiller.
Arthur rassembla ses forces et rapidement glissa hors de l’étreinte du géant. Rapide
comme l’éclair, il frappa le géant trois fois avec son épée, dans la tête, juste
à l’endroit où la cervelle était protégée par le crâne. La créature mauvaise
poussa un rugissement et s’abattit sur le sol avec un fracas terrible, comme
lorsqu’un chêne est déraciné par la fureur des vents ». Arthur se dit qu’il
n’a guère trouvé d’adversaire aussi redoutable. Il demande à ses compagnons de
couper la tête du géant et de l’emmener au camp. Le roi Hoël, satisfait
parce que sa nièce a été vengée, fait construire une chapelle à l’endroit même où
est enterrée la jeune fille sur l’îlot qui, depuis lors, porte le nom de
Tombelaine. [59]
Ainsi donc, les traditions locales de la baie du
Mont-Saint-Michel portent la trace de la présence d’un géant plus ou moins
démoniaque qui réside dans une caverne sur le Mont-Tombe. Il faut mettre cette
tradition en rapport avec le thème du taureau tel qu’il apparaît dans le récit
hagiographique concernant saint Aubert et la fondation du sanctuaire dédié à
saint Michel. Le taureau et le géant sont évidemment analogues au Dragon, que
le même Arthur poursuit à Saint-Michel-en-Grève, et que saint Efflam réussit à
dompter en ses lieu et place : la primauté de cet acte de « salubrité
publique » est accordée à un saint, même si ce saint a des résonances
mythologiques comme saint Efflam, ou mystiques comme saint Michel. Cela paraît
normal dans des pays où le Christianisme a incorporé bon nombre de croyances
païennes antérieures et leur a donné une coloration en rapport avec la nouvelle
idéologie. Mais le schéma demeure le même : il y a un Héros de Lumière qui affronte le Dragon des
Profondeurs. Mais ce Dragon est lui aussi détenteur d’une flamme, d’un feu, on
le voit bien avec les deux bûchers qui brûlent sur le Mont-Tombe et sur
Tombelaine, dans la tradition rapportée par Geoffroy de Monmouth. Et quand on
sait que le Mont-Saint-Michel est l’endroit idéal pour que se manifeste la
foudre, cela ne manque pas de provoquer des réflexions : car la
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